Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – Introduction et 1ère Parole

Note : ce texte est issu de conférences données à un auditoire de Femmes Chrétiennes.

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C’est à vous, Mesdames, que j’offre ces pages. L’hommage vous en revient de droit, car c’est vous-mêmes qui m’avez inspiré le dessein de les écrire.

Quand l’an passé, devant ce magnifique auditoire que vous composiez dans la nef de l’église de Saint-Vincent de Paul, je vous parlais de Jeanne d’Arc, je me plus souvent, comme il convenait, à vous citer les paroles de notre héroïne.

Je ne fus pas médiocrement frappé de l’impression profonde que ces paroles faisaient sur vous. L’émotion que vous causait le récit ordinaire de ses actions s’augmentait visiblement quand vous entendiez l’une de ces vives saillies dont Jeanne d’Arc était coutumière.

Essentiellement Française par le cœur, Jeanne ne l’était pas moins par l’esprit, et l’un des caractères particuliers de son admirable génie fut cette forte naïveté gauloise dont notre esprit français a hérité. Son discours fourmille de saillies pénétrantes, concises et concluantes comme un dicton populaire. Quand Jeanne écrivait aux Anglais avant de commencer la bataille, disent les chroniques, elle aimait à prendre une flèche, qu’elle attachait au bout de la missive avec un fil et ordonnait à un archer de la lancer à l’ennemi en criant : « Lisez, ce sont nouvelles ! » Et la flèche arrivait avec la lettre.

Image de ses paroles. Elles ont quelque chose d’un trait rapide et l’on peut dire en les citant : « Lisez, ce sont nouvelles. »

Choses nouvelles en effet, souvent par le fonds même de la pensée ; toujours nouvelles au moins par la forme originale et personnelle des propos de Jeanne.

Il est admirable de voir comment, d’un mot, elle sait trancher les questions obscures, apporter dans la discussion la plus mêlée l’argument décisif.

Nul mieux qu’elle ne fait entendre ces accents généreux propres à ranimer dans les âmes les grands sentiments.

C’est pour cela même, assurément, que ses brefs discours trouvaient, quand nous vous les citions, un écho si puissant en vous et laissaient en vos esprits un sillon si fortement tracé.

C’est pour rendre durables et salutaires ces impressions, que nous vous offrons aujourd’hui ces quelques pages.

Ces paroles vous diront plus que beaucoup de longs discours. Mieux que bien des livres elles vous enseigneront vos devoirs envers votre famille et notre pays, et dans les quelques mots tombés des lèvres de cette enfant de dix-neuf ans vous trouverez un parfait idéal de ce que doit être une femme au sein d’une société chrétienne et dans notre France.

Puissions-nous n’en déparer point la vigoureuse et ingénue sublimité, dans un commentaire qui n’a pour but que de les rendre pour vous plus claires encore et plus touchantes !

Le Petit-Camp, à Valognes, en Basse-Normandie, mercredi, 15 août 1888.

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1.

« Je suis une bonne Chrétienne bien baptisée et je mourrai bonne Chrétienne. »

Jeanne d'Arc Bonne Chrétienne

Jeanne d’Arc devant ses juges.

C’est le témoignage que Jeanne se rendait. Chaque fois que ses juges essayaient de l’opposer à elle-même et de mettre en doute la sincérité de sa foi : « Je suis une bonne chrétienne » répondait-elle. On a trop négligé de considérer Jeanne d’Arc par ce côté.

Les incroyants ont une raison plausible de laisser dans l’ombre ce trait de sa physionomie. Ils sentent trop quel honneur Jeanne d’Arc fait à la religion pour n’essayer pas de l’en détacher.

Mais l’erreur des Chrétiens sur ce même point est moins excusable. On peut l’expliquer toutefois.

Les hommes ont un goût très vif pour le merveilleux. La mission de Jeanne d’Arc est évidemment extraordinaire ; la manière dont elle s’accomplit et les événements qui remplissent sa vie ne le sont pas moins.

On s’explique donc que les foules aient été particulièrement frappées de cet étrange phénomène, unique dans l’histoire. Le mal est qu’on s’est trop exclusivement attaché à ce point de vue.

Il est arrivé de là, en effet, que la vie de Jeanne d’Arc n’est pour presque personne un modèle imité. Parmi les femmes mêmes qui ont pour sa mission le culte le plus ardent, il en est peu qui songent à s’inspirer de son esprit, de ses résolutions et de ses admirables vertus.

On place Jeanne dans une sphère étrangère à celle des personnes de son sexe. Je ne dirai pas qu’on la grandit outre mesure, on ne saurait la faire trop grande. Mais du moins on lui donne une grandeur dont le spectacle demeure stérile pour ceux qui l’admirent.

C’est honorer la mémoire de Jeanne d’Arc que de convier les esprits à revenir de cette illusion. Aussi n’avons-nous d’autre but, dans les pages que nous consacrons à faire connaître cette héroïne.

Il faut que les rationalistes en prennent leur parti : Jeanne d’Arc était autre chose qu’une femme de génie dont l’intelligence, éclairée sans culture scientifique, s’élevait jusqu’aux notions les plus nettes de la philosophie pratique.

Elle était « une bonne chrétienne », scrupuleusement fidèle aux pratiques de la religion, « bien baptisée », comme elle disait, aimant Dieu et le servant, et qui voulait « mourir chrétienne ».

Quant à nous, chrétiens, n’oublions point que si Jeanne par les inspirations qui la conduisirent et le caractère général de son action publique sort des rangs de l’ensemble des femmes, elle les touche de près par une foule de côtés ; elle est l’une d’elles. Elles ont donc un intérêt capital à étudier cette vie ; il en est peu qui soient pour elles d’un exemple plus salutaire.

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.

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