« Sainte Radegonde, orgueil de la race des Francs, qui avez pris la Croix pour Sceptre, soyez notre secours dans les dangers qui nous menacent. »
I
Il est des temps où, pour punir l’orgueil des hommes, pour châtier l’incorrigible confiance qu’ils ont en eux-mêmes, Dieu se cache, Dieu se retire, et alors les ténèbres se font sur toute la face de la terre, des ténèbres profondes, des ténèbres horribles. Il en fut ainsi pour le pays des Pharaons à la voix de Moïse, il en fut de même pour la terre entière à l’heure où allait se consommer le déicide. Ainsi en est-il présentement, je ne dis pas en ce qui est de la lumière matérielle, mais de la lumière des esprits. Jamais le globe terrestre n’a été enveloppé d’un nuage plus épais, jamais l’humanité n’a marché dans des voies plus assombries et plus obscures. On se croirait revenu au premier début de la création, alors que tout était chaos et que les ténèbres couvraient la surface de l’abîme, Dieu n’ayant pas encore séparé les ténèbres de la lumière. En plein midi, nous hésitons, nous palpons, nous tâtonnons comme dans la nuit, et non dans la lumière ; et les conducteurs des peuples, plus aveugles encore que ceux qu’ils conduisent, ne réussissent qu’à nous précipiter avec eux dans une même fosse.
Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont la justice même. Les hommes vous ont dit : « Retirez-vous de nous, nous ne voulons pas de la science de vos voies. » Vous avez détourné votre face, et le trouble s’est emparé d’eux, et ils ont perdu l’esprit, et ils tombent en défaillance, et ils sont retournés à l’état de poussière.
Et néanmoins, dans ce désarroi absolu, nous les entendons encore qui nous crient : — Où allez-vous ? Que faites-vous ? Quel délire vous emporte ? Le monde est gouverné par les sages, et non par les thaumaturges. Dieu ne veut pas qu’on le tente. Qu’on l’invoque, à la bonne heure ; mais, en définitive, c’est à l’activité humaine, c’est à l’habileté politique qu’il faut en revenir pour faire les affaires de ce monde. — Et nous de leur répondre : Mais précisément cette activité humaine, nous en cherchons les effets, et ils nous fuient ; cette science politique, nous en implorons les fruits, et ils nous échappent. Apologistes par trop désintéressés, partisans en vérité trop platoniques des combinaisons de la sagesse et de la prudence naturelle, c’est parce que vous ne nous offrez en vous aucune de ces ressources, c’est parce que tous les moyens ordinaires ont été paralysés, parce que toutes les voies humaines ont été coupées et fermées, que nous nous rejetons exclusivement vers le Ciel, ayant besoin désormais d’espérer contre toute espérance.
Allons, les habiles de ce monde, quelque peu de modestie vous conviendrait, et aussi quelque indulgence envers ces humbles serviteurs de Dieu que vous appelez dédaigneusement « les miraculeux ». Avant de rire des miracles que nous cherchons, montrez-nous les vôtres. Sauvez-nous, et nous remercierons volontiers le Ciel de nous avoir sauvés par vous. Mais si, au lieu du salut, vous ne nous apportez que l’aggravation de la honte et de la ruine, trouvez bon que nous demandions à Dieu seul, et à sa mère, et à ses saints, ce que l’énervement des hommes est impuissant à nous donner.
« Cherchez, nous dit le royal prophète, cherchez le Seigneur, et cherchez votre force en lui ; cherchez son visage sans cesse ». Ainsi faites-vous, mes très-chers Frères ; ainsi font les vrais Chrétiens sur tous les points du globe à l’heure présente. Le désordre et la confusion étant partout, l’abomination de la désolation menaçant de s’installer sur la terre, vous vous souvenez de la parole de Jésus-Christ, et vous vous réfugiez vers les montagnes. Vous avez appris que les signes surnaturels avaient apparu sur ces hauteurs, que des effets manifestes de la puissance divine s’y renouvelaient de jour en jour, que des guérisons merveilleuses s’y succédaient, et vous vous acheminez vers ces sources miraculeuses, espérant que la même vertu qui guérit les infirmités des particuliers, guérira aussi les maux de la société, rendra la vie et le mouvement à cette nation paralytique, remettra sur pied ce peuple impotent, objet de la pitié et quelquefois des insultes des passants et des étrangers. Allez donc où vous porte, où vous pousse l’esprit du Seigneur. Il a dit : « Cherchez, et vous trouverez ! ». Il ne manquera point à sa parole. Pèlerins qui cherchez le Seigneur, et sa force, et son visage, vous rencontrerez le Seigneur, vous sentirez sa vertu en vous ; sous les traits aimables de sa mère, il se montrera à vos regards, et fera rentrer l’espérance dans vos cœurs.
II
Cette vertu, ce visage du Seigneur, notre religieuse cité, dans laquelle vous avez eu la bonne inspiration de faire une halte pieuse, ne vous en offre-t-elle pas déjà de premiers gages et de premiers rayons ? La grâce divine s’est enracinée sur ce sol, elle y est entrée plus avant, elle s’y est épanouie plus largement que sur aucun point de la Gaule. Ici, d’après nos traditions, ici l’apôtre de l’Aquitaine, saint Martial, eut la vision du martyre du prince des apôtres, et, avec le bâton même qu’il avait reçu de son maître, il traça les fondations du premier temple bâti en son honneur : telle est la glorieuse origine qui relie la mère église de Poitiers à la personne de saint Pierre ; et, comme l’a dit l’éloquent évêque de Tulle dans le langage qui lui appartient, « c’est la raison des énergies sacerdotales qui n’ont cessé de partir de ce lieu ». Ici, d’après l’histoire et d’après les monuments, ici, dans l’étroit espace qui sépare l’église cathédrale de son étroit baptistère, se sont rencontrés et ont cohabité quelques années les deux principaux initiateurs de notre nation Chrétienne, saint Hilaire et saint Martin : deux figures géantes, toujours dressées sur la cité pour protéger de leur regard la foi annoncée par leur parole et confirmée par leurs prodiges. Attirée par la renommée de leur sainteté et de leur puissance, Radegonde est venue chercher son refuge et placer son monastère à l’ombre de ces deux grandes mémoires : ainsi s’explique la contiguïté de tous ces sanctuaires, jaloux de se serrer les uns auprès des autres.
Radegonde, vous avez pu vous en apercevoir déjà, mes bien chers Frères, elle est toujours vivante parmi nous ; elle est la reine de cette cité, la souveraine de cette contrée : elle y tient sa cour plénière et permanente, elle y dispense nuit et jour ses faveurs. Auprès de son tombeau se mêlent, se confondent chaque jour tous les rangs, toutes les conditions les plus diverses. Quels qu’ils soient, grands ou petits, riches ou pauvres, indigènes ou étrangers, Radegonde donne audience à tous, et tous remportent d’auprès d’elle les grâces les plus précieuses et les plus signalées.
Pèlerins de Paris, la sainte reine vous appartint avant de se donner à nous. Saint Germain de Paris fut son protecteur, son conseiller, son guide, aux jours les plus difficiles de sa vie, et il n’hésita point à venir jusqu’ici pour la couvrir encore de sa protection quand elle fut menacée dans la paix de sa retraite. Je voudrais donc vous parler d’elle comme il convient. Mais à des voyageurs fatigués on ne fait pas subir les longueurs d’un panégyrique. J’en rassemblerai quelques traits dans l’explication rapide des trois antiennes que notre Église chante, et que vous allez chanter avec nous, en l’honneur de notre royale patronne.
Extrait de : Discours Adressé dans l’Église de Sainte-Radegonde de Poitiers aux Pèlerins de Paris, le 17 Août 1874, par le Cardinal Louis-Édouard Pie.
Litanies de Sainte Radegonde.
Souvenir du Pèlerinage au Tombeau de Sainte Radegonde.
A suivre… 2ème partie.