Sainte-Radegonde Mère De La Patrie, Par Le Cardinal Pie (2)

Sainte Radegonde Reine de France

Sainte Radegonde Reine de France.

III.

« Radegonde, l’honneur des Francs, a méprisé la gloire du monde, et changé la pourpre royale pour le voile sacré ».
C’est notre chant des premières vêpres.

Oui, cette pauvre petite captive de Thuringe, venue dans le pays des Francs, en a été l’une des gloires les plus pures. Elle était douée des plus riches dons de la nature, dons extérieurs et dons de l’esprit. Les maîtres, les éducateurs de cette jeune fille crurent avoir fait merveille lorsque le roi de France, charmé de toutes les qualités de leur élève, l’appela à partager son trône et à présider avec lui aux destinées d’un grand royaume. Radegonde ne fut point éblouie. Elle avait donné son cœur à la sagesse divine ; elle préféra la sagesse aux royaumes et aux trônes ; elle considéra que les richesses n’étaient rien en comparaison d’elle ; elle n’eut pas même la pensée d’établir un rapport entre la sagesse et les pierres précieuses. L’or n’était à ses yeux qu’un peu de sable, l’argent n’était que de la boue. Pour ennoblir ce sable, pour purifier cette boue, elle les appliquait à des usages sacrés de piété et de charité. Elle aima la sagesse plus que la santé, plus que la beauté. Elle oubliait le soin de sa propre conservation ; nuit et jour elle se consumait, elle immolait sa vie au service de Dieu. Citée comme la plus belle des femmes du royaume, elle n’avait de souci que pour la beauté de son âme, elle ne voulait que la parure de la grâce et de la vertu. Si Clotaire lui faisait préparer des vêtements chargés d’or et de pierreries, elle trouvait le moyen de tromper les regards du royal époux ; et, sans les avoir portées même une seule fois, elle envoyait ces robes magnifiques aux églises voisines pour devenir la parure des autels, les ornements de la sagesse éternelle incarnée en Jésus-Christ et résidant dans l’Eucharistie.

Ainsi faisait Radegonde pendant qu’elle était sur le trône. Et ce n’était point assez à ses yeux. Ce trône, elle aspirait à en descendre. Trop de spectacles honteux ou douloureux y frappaient ses regards. Sitôt que la liberté lui en fut donnée, elle échangea la pourpre royale pour le voile sacré.

Mais, précisément parce qu’elle a méprisé la gloire mondaine, elle a mérité d’être davantage glorifiée. Parce qu’elle a quitté le royaume terrestre, elle a été mise en possession d’une royauté immortelle. La grandeur humaine meurt bientôt ; la grandeur de la sainteté va toujours s’élevant. Qui se souvient aujourd’hui de tant d’autres reines de France qui ont vécu dans les délices, dans les richesses, dans les honneurs, et qui sont mortes sur le trône ? Le temps n’a pas même respecté leur tombe, et personne ne songe à elles. Et voici qu’après treize cents ans, Radegonde est plus que jamais présente au souvenir de la nation.

Ce qu’un poète a dit d’un de nos monarques : « seul roi de qui le peuple ait gardé la mémoire », je le dirai avec bien plus de vérité de Radegonde. Certes, je n’entends pas diminuer la gloire de Clotilde, ni de Bathilde, ni de Jeanne de France, ni même la gloire de Blanche qui, si elle n’a pas eu les honneurs de la canonisation, porte sa tête toute rayonnante de l’auréole de son fils saint Louis. Mais pourtant Radegonde est demeurée plus populaire que toutes les autres. Seule de qui le peuple ait gardé la mémoire, seule à qui le peuple ait conservé son culte, sa confiance, son amour : autour de sa royale dépouille, chaque année la foule est plus compacte, les clients plus nombreux ; nos rues sont remplies, nos places sont couvertes ; le matin, avant le lever de l’aurore, les abords de l’église sont assiégés. Voilà ce que c’est d’avoir su échanger la pourpre contre la bure, le bandeau royal contre le voile sacré.

Sainte Radegonde de Poitiers souvenir du tombeau

Sainte Radegonde de Poitiers, Reine de France, Illustre et douce Mère, nous avons confiance en vous. Priez Pour Nous..

Souvenir de son tombeau. Carte postale début XXe siècle.

IV.

L’antienne des Laudes est celle-ci :
« La bienheureuse Radegonde, imitant la piété d’Hélène, soupira après la croix du Seigneur, et elle enrichit nos plages occidentales de ce gage de notre salut ».

Elle avait quitté son époux humain, le roi couronné d’un diadème terrestre ; en épousant un autre roi, le Roi couronné d’épines, elle avait épousé sa croix sans réserve. Or, elle avait conçu un dessein, elle nourrissait un désir qui allait s’enflammant toujours davantage. Elle qui portait la croix incessamment dans son cœur, et qui accomplissait dans son corps ce qui manque à la passion de Jésus, elle n’avait point de repos qu’elle n’eût obtenu un fragment de l’arbre du salut, un morceau du vrai bois de la croix, de ce bois détrempé et imprégné du sang rédempteur. L’empereur Justin se rendit à ses vœux.

Me demandez-vous ce qu’est devenu ce morceau de la vraie croix, cette portion, non pas la plus considérable, mais certainement la plus historique et la plus célèbre qui ait été apportée en Occident ? Mes Frères, nous la possédons toujours. Elle est toujours dans ce monastère de Radegonde auquel elle a donné son nom, dans l’antique et vénérable monastère de Sainte-Croix.

Des trésors de Clovis, de Clotaire, et du mobilier de toute la première race de nos souverains, que reste-t-il aujourd’hui ? A peine deux ou trois objets curieux, que les musées profanes conservent avec soin. Le trésor de Radegonde a eu un meilleur sort ; le musée sacré de ses filles nous montre le pupitre de bois pieusement sculpté, sur lequel elle posait son livre pour étudier et pour prier ; la croix de métal avec laquelle elle imprimait les stigmates de Jésus-Christ sur sa chair ; et, non loin de là, la coupe ou le calice en corne dans lequel elle s’abreuvait d’eau pure ou de la boisson vulgaire des pauvres ; enfin l’émail byzantin qui forme l’encadrement immédiat de la relique telle qu’elle a été envoyée d’Orient.

La dynastie mérovingienne a disparu depuis plus de mille ans. La postérité de sainte Radegonde vit encore, et nous avons la confiance que la royale abbaye, n’ayant pas survécu en vain à tant de causes de ruine, verra toujours se grouper autour du bois sacré une élite de vierges et de veuves jalouses d’être comptées parmi les filles spirituelles de la sainte Reine. Il est vrai, après avoir été pendant douze siècles le plus riche et le plus glorieux entre les monastères, il est compté parmi les plus humbles. Qu’importe, s’il a conservé la richesse de ses traditions et les sentiments qu’elles inspirent ?

Enfin, les chants guerriers ou patriotiques de nos origines nationales, on les a perdus, ou l’on n’en possède que des débris. Les hymnes de Fortunat, les chants de Radegonde, composés pour l’arrivée et la réception de la vraie croix dans nos murs, l’Église universelle les chante encore, les chantera jusqu’à la fin des siècles. Dans toute l’étendue de la Catholicité, toutes les fois qu’il s’agit de célébrer l’étendard du Roi, et le grand combat de la vie contre la mort, ce sont nos hymnes poitevines qui sont sur toutes les lèvres. Monuments impérissables, qui rattachent à l’histoire générale de l’Église et de sa liturgie le fait célébré dans notre antienne : « La bienheureuse Radegonde, rivalisant avec la piété d’Hélène, soupira après la croix du Sauveur, et enrichit notre Occident de gage du salut. »

Extrait de : Discours Adressé dans l’Église de Sainte-Radegonde de Poitiers aux Pèlerins de Paris, le 17 Août 1874, par le Cardinal Louis-Édouard Pie.

Saint Remi et la France, par le Cardinal Pie

Médaille Saint Remi abbé Corbierre

Médaille à l’effigie de Saint Remi, par l’abbé Corbierre.

… « Vous êtes une race élue, une nation sainte, un royal sacerdoce, un peuple acquis à l’effet d’annoncer les grandeurs de Celui qui, des ténèbres, vous a fait passer dans son admirable lumière ».

C’est ici, mes très chers frères, le caractère propre et spécifique de la nation enfantée au Christianisme par Saint Remi. Entre tous les autres peuples d’Occident, le peuple de France est né apôtre et missionnaire. L’adhésion personnelle à la vérité ne lui suffit pas ; il en est constitué le propagateur dans le monde entier. Cet horoscope avait été merveilleusement tiré sur le berceau même de la France chrétienne par un vieux patricien gaulois, saint Avit, évêque de Vienne :

« Ce ne sera pas assez, écrivait-il à Clovis, que Dieu fasse par vous votre nation totalement sienne ; il vous appartient de jeter les semences de la Foi jusque chez les nations lointaines, jusque chez ces peuples encore plongés dans leur ignorance native, mais que l’hérésie n’a pas infectés de ses poisons. Ne craignez point de diriger jusque-là vos envoyés, afin d’avancer ainsi les affaires du Dieu qui a tant avancé et si bien servi les vôtres. La France est un soleil dont la lumière ne doit pas rester emprisonnée dans les limites d’un territoire restreint ; ses rayons doivent resplendir partout et au profit de tous. »

La papauté romaine, par la bouche d’Anastase, tenait le même langage : elle voyait, par la France, « la plénitude des nations accourir à grands pas vers la chaire de Pierre, et se remplir, à travers les temps, le filet que le pêcheur d’hommes a reçu ordre de jeter dans la pleine mer. »

Tel a été, en effet le rôle de la France pendant une longue suite de siècles. Ses succès étaient un gain pour la Foi ; aussi souvent qu’elle livrait le combat, le Christianisme comptait une nouvelle victoire. Elle y gagnait elle-même d’être devenue la reine du monde ; et parce que le nom Français était réputé synonyme du nom Catholique, notre nation était la nation universelle, et sa langue était la langue officielle des peuples civilisés.

Voilà ce qui fut, mes très chers frères, et vous savez ce qui est. Je ne dirai point la cause de nos déchéances : mon patriotisme, en ce moment surtout, et à la veille de solutions où, par suite de nos fautes, le monde latin n’aura point la part qui ne devait revenir qu’à lui, mon patriotisme se refuse à exprimer ce que le vôtre a compris. Non, non, la propagande révolutionnaire de l’erreur ne donnera jamais à la France ce que lui avait donné le prosélytisme de la vérité. Heureusement les fautes des peuples, non plus que celles des individus, ne sont pas irréparables, et la France pour sa part a reçu d’en haut une vocation inamissible.

Saint Remi Priez pour Nous
Saint Remi Priez Pour Nous.

J’entends la voix de Remi s’unir à la voix du prophète pour nous dire : « Ayez courage, mes fils, et criez au Seigneur ; car il n’a pas perdu le souvenir d’un peuple longtemps conduit par sa main. ». « Et comme votre esprit vous a portés à vous égarer en vous détournant de lui, éclairés désormais par l’expérience, vous vous donnerez maintenant avec dix fois plus d’ardeur à la recherche de ses intérêts et de sa cause. » Ainsi vous rentrerez dans tous vos privilèges premiers : peuple autrefois acquis, et désormais peuple reconquis à l’effet d’annoncer les grandeurs de Celui qui, après de secondes et plus fatales ténèbres, vous aura fait remonter aux régions pures et sereines de son admirable lumière.

Comment ne me féliciterais-je pas, Monseigneur, d’avoir pu apporter aujourd’hui mon humble participation à cette solennité patronale ? L’admirable et trop peu connu pape saint Léon IX écrivait que, « en dehors de toute autre utilité de l’Église, le seul amour de Saint Remi le ramènerait en France pour dédier sa basilique. »

Le seul amour de Remi assurément m’eût appelé ici. Il faudrait ne rien savoir de nos origines, ne rien connaître de nos richesses Chrétiennes et nationales, pour ne pas donner une place dans son cœur à ce fondateur de la nation, à ce père de la patrie, à celui que votre liturgie appelle à juste titre : firmamentum gentis, stabilimentum populi [soutien de la nation, pilier du peuple] ; à ce thaumaturge dont les ossements, toujours visités des peuples, ont prophétisé après sa mort ; en un mot, à ce grand homme et à ce grand Saint, l’une des plus nobles et des plus douces figures de notre histoire : âme de prêtre éminemment miséricordieuse, qui définissait le ministère sacerdotal en disant que « le Seigneur ne nous a point établis pour exercer sa rigueur, mais pour prendre soin du salut des hommes ».

Saint Remi Archevêque de Reims
Saint Remi Archevêque de Reims (437-533).

Toutefois, ce que m’aurait inspiré le seul amour de Remi, pourquoi ne dirais-je pas, Monseigneur, que le devoir et l’affection me le commandaient envers son successeur ? C’était, d’ailleurs, renouer la chaîne d’un passé que nous avons rappelé déjà, et solder en outre une dette qui remonte plus haut que les temps de Saint Remi lui-même.

Dans la seconde moitié du quatrième siècle, il y avait un Saint Évêque de Reims qui se nommait Maternien. Le Seigneur lui avait révélé que l’évêque de Poitiers, Hilaire, auquel il avait été uni toute sa vie par une très-fidèle communion de pensées et de sentiments, approchait du terme de sa glorieuse carrière. Il se mit donc en marche vers lui, visitant le long de sa route tous les sanctuaires célèbres. Hilaire, divinement avisé de la chose, envoya ses frères à la rencontre de Maternien, qui fut accueilli comme savent s’entr’accueillir les Saints : tandis que ces deux illustres pontifes passaient en grande allégresse ces précieux jours de visite, la ville entière prenait part à la joie de leur réunion. A la vérité, leurs entretiens roulèrent sur plus d’un sujet de tristesse, soit qu’ils portassent leurs yeux sur le passé ou sur l’avenir. Mais, s’étant fortifiés l’un l’autre contre les derniers assauts de ce monde, ils se quittèrent consolés, en présageant des jours meilleurs pour la patrie humaine, et en se donnant rendez-vous dans la céleste patrie.

Plus heureux que Maternien, je viens vers vous, Monseigneur, quand votre carrière, déjà riche et féconde, n’est pourtant encore qu’à ses débuts. Votre siège a des précédents célèbres ; et cette Église, dont vous êtes l’espérance et la joie, bénira le Seigneur si, en prenant Saint Remi pour modèle en tout le reste, vous ajoutez à d’autres traits de ressemblance celui de la rare longévité pastorale dont il a donné l’exemple. Chacune de vos années enfantera de nouvelles œuvres de sanctification pour votre peuple, ou plutôt chacun de vos jours, qui seront tous des jours pleine grossira le trésor de vos mérites et des siens pour le temps et pour l’éternité.

Ainsi soit-il.

Extrait de : Homélie Prononcé dans l’Église de Saint-Remi de Reims en la Fête Patronale de Saint Remi, le 1er Octobre 1875, par le Cardinal Louis-Édouard Pie.

Jeanne d’Arc et l’Antipatriotisme (1)

Image Pieuse Jeanne d'Arc Sainte de la Patrie, Priez pour Nous

Jeanne d’Arc Sainte de la Patrie Priez Pour Nous, par Gabriel Loire.

« Après l’idée de Dieu, il n’est pas d’idée plus belle, plus douce et plus fortifiante que celle de patrie.

Elle est belle comme la gloire ; elle fait passer des frissons de fierté dans nos moelles et des visions d’honneur devant nos yeux.

Elle est douce comme la caresse d’une mère ; elle met un dernier sourire sur les lèvres du soldat mourant.

Elle est fortifiante comme la brise des hauteurs ; génératrice d’énergie et de courage, elle fait accepter d’un cœur léger tous les sacrifices, même celui de la vie.

Mais, comme l’idée de Dieu, l’idée de patrie est aujourd’hui combattue par des écrivains qui se disent le progrès et qui sont d’étranges phénomènes de régression mentale. Il est en effet certain que le patriotisme était totalement inconnu des ancêtres poilus, acrobates des forêts primitives, dont ces hommes se réclament à tout propos.

Et il est touchant de voir ainsi fraterniser dans l’entente cordiale de l’égoïsme préhistorique les primaires de nos jours et les primates du temps passé.

Heureusement, nous sommes encore un certain nombre en France qui n’entendons nullement lâcher la vieille et chère idée de patrie. Nous sommes prêts à lutter pour elle et contre les ennemis du dehors et contre les métèques du dedans. Votre présence dans cette salle décorée de drapeaux, et où vous êtes accourus pour m’entendre parler de patriotisme me prouve assez que vous avez les mêmes sentiments.

Or, dans cette lutte nous avons pour alliée et pour chef invisible Jeanne d’Arc. D’une part, en effet, elle a été le type le plus accompli du patriotisme et, de l’autre, elle est en butte aux attaques les plus violentes de l’antipatriotisme contemporain.

Pour ces deux raisons, nous l’aimons d’un amour que les outrages dont elle est l’objet ne peuvent qu’exalter et nous nous serrons autour d’elle comme autour d’un drapeau vivant.

Voltaire a vomi contre elle les mêmes insultes misérables dont il s’efforçait de salir la France. Mais la boue qu’il remuait n’a éclaboussé que son nom. La Pucelle aujourd’hui est plus populaire que jamais.

De nos jours des hommes plus corrects que Voltaire, mais non moins haineux, ont de nouveau attaqué la Libératrice, et tâché d’arracher les plus beaux fleurons de sa couronne patriotique et surnaturelle. L’un deux la traite d’hallucinée ; un autre regrette qu’elle ait sauvé la France du joug de l’Angleterre ; un troisième prétend qu’elle n’a rien sauvé du tout. Mais leurs insultes et leurs insanités n’atteignent pas l’Héroïne : elle les domine de trop haut. Laissons donc de côté le grec, le juif et le faux français pour ne regarder que Jeanne la triomphante, l’inviolée et inviolable Pucelle. Après avoir rapidement esquissé l’histoire du patriotisme en France avant Jeanne d’Arc, nous verrons comment elle a développé ce sentiment en combattant l’antipatriotisme inconscient des Bourguignons de son temps et en réfutant à l’avance l’antipatriotisme systématique de nos jours.

Le Patriotisme avant Jeanne d’Arc

Certains écrivains oui prétendu que le patriotisme était né en France avec la Révolution. D’autres, trouvant tout de même étrange que les Français aient attendu treize siècles pour s’apercevoir qu’ils avaient une patrie glorieuse et digne d’être aimée, ont reporté plus haut la date de naissance de ce sentiment. Quelques-uns, comme Michelet, l’ont situé au XVe siècle et en ont précisément fait l’honneur à Jeanne d’Arc. Mais, si la Pucelle a singulièrement développé le patriotisme, il serait excessif de lui en attribuer la paternité, ou, si vous aimez mieux, la maternité.

En réalité, le patriotisme a toujours été chez nous une vertu spontanée depuis le jour où la patrie a été constituée. À l’origine, alors que la France ne formait pas encore un composé bien défini et que diverses races entraient en fusion dans le creuset d’où allait sortir une race mixte plus belle que ses composantes, il y eut et il devait y avoir des tâtonnements et des méprises. La patrie n’avait pas encore ses traits distinctifs et il était parfois malaisé de la reconnaître.

Mais dès qu’elle apparut au monde comme une nation homogène, stable, indépendante, elle fut aimée pour sa beauté, pour la noblesse de son maintien, quand, accoudée sur ses frontières, elle regardait au loin monter l’orage des peuples coalisés, pour la pureté de son regard levé vers le ciel ou tourné vers les grands horizons, pour les rêves de gloire vaguement soupçonnée que son nom évoquait au cœur de ses fils : en un mot dès qu’il y eut une France, il y eut de bons Français.

Et cela remonte haut. Évidemment le nom de France ne disait pas aux contemporains de Clovis tout ce qu’il nous dit à nous après les quinze siècles de gloire qui lui ont fait une auréole. Mais il contenait déjà en germe la grande idée patriotique.

Il disait une race autonome qui allait se fusionner avec d’autres races, mais qui devait rester leur centre d’unité et leur noyau de condensation.

Il disait une nation déjà bien différenciée de l’Allemagne, puisqu’elle l’avait vaincue à Tolbiac.

Il disait un royaume indépendant, ayant ses limites naturelles, puisque Clovis les avait reculées jusqu’au Rhin en refoulant les Germains et jusqu’aux Pyrénées en écrasant les Wisigoths.

Il disait un territoire riche, plantureux, admirablement configuré, destiné, suivant la pensée en quelque sorte prophétique du géographe Strabon, à devenir le berceau du plus grand de tous les peuples.

Il disait une force immanente, ambitieuse de se montrer et de s’imposer au monde pour le bien du monde.

Il disait une foi religieuse distincte de celle des autres barbares encore païens, un prosélytisme ardent de justice et de vérité, le besoin de se dévouer au bien et de réprimer le mal, noble besoin qui éclate dans le mot de Clovis au récit de la Passion : « Que n’étais-je là avec mes Francs ! »

Il disait une patrie déjà aimée, car lorsque nos pères s’écriaient : « Vive le Christ qui aime les Francs ! » ce qu’ils acclamaient en lui, ce qui les enthousiasmait, c’était son amour pour la France, preuve qu’ils avaient eux-mêmes cet amour.

En un mot, il disait une personnalité charmante et fière où la France d’aujourd’hui a le droit de reconnaître son portrait d’enfant.

Eglise bannière vive le christ qui aime les Francs

Cette Maison est la Maison de Dieu. Vive le Christ qui aime les Francs. Plutôt Mourir que Trahir.
Carte Postale, Ste Pazanne pendant les inventaires de 1906.

Il y a harmonie parfaite entre l’idéal de la France mérovingienne et l’idéal de la France catholique de nos jours. C’est la même conscience d’une vocation mystique et chevaleresque, le même tempérament, le même caractère, les mêmes défauts, les mêmes aspirations sentimentales, les mêmes rêves.

Il est donc faux que la France actuelle se soit formée, comme on l’a dit, sous les Capétiens. Il est faux que le patriotisme soit né au XIe siècle. Il est né à l’origine de la monarchie, il s’est enrichi au cours des Ages de traditions et de souvenirs, affluents de gloire qui en ont fait le plus beau des fleuves, mais il a sa source au baptistère de Reims.

Le patriotisme grandit à l’époque carolingienne. Ouvrez la Chanson de Roland. Quand le grand paladin se voit cerné par les Sarrasins, il s’écrie : « A Dieu ne plaise que la douce France tombe en déshonneur ! » Quand il voit son ami Ollivier blessé, il dit : « O douce France, tu vas donc être veuve de tes meilleurs soldats ! » Quand Charlemagne aperçoit le cadavre de son neveu, il se lamente : « Oh! douce France, te voilà orpheline ! »

On ne voit pas, il est vrai, le nom de patrie dans le vieux poème national : l’idée est peut-être encore trop abstraite pour avoir son vocable officiel. Mais le nom de France y est prononcé avec tant de douceur, avec un accent si tendre, qu’il ne désigne évidemment pas la terre toute seule avec ses champs, ses forêts, ses couches géologiques, mais cette même terre avec son âme, c’est-à-dire la France personnifiée, considérée comme une mère, en un mot la patrie.

On objecte que la Chanson de Roland a été écrite au XVe siècle et que le trouvère a prêté aux contemporains de Charlemagne les sentiments de son époque. Sans doute il a donné à leurs pensées une allure et une forme littéraire nouvelles : mais il n’a pas créé ces pensées ; il a répété ce que d’autres avaient dit moins bien avant lui. Un grand arbre ne pousse pas en un jour, et le patriotisme n’aurait pas produit d’aussi nobles fleurs, ni des fruits aussi savoureux au XVe siècle, s’il n’avait jeté de profondes racines dans notre race aux siècles précédents.

Il est certain que la France de Charlemagne, débordant sur la Germanie, se confondait un peu avec elle au point de vue administratif et politique ; mais au point de vue ethnique et moral, elle s’en distinguait profondément. Charles était le roi des Francs avant d’être le conquérant de l’Allemagne. Il était conscient et fier de la mission des Francs proclamée par la papauté. C’est comme roi des Francs qu’il fut appelé et qu’il vola au secours du Saint-Siège. La preuve c’est que ce ne sont pas ses successeurs sur le tronc d’Allemagne, mais ses successeurs sur le trône de France qui ont hérité de sa vocation et de ce titre de bon sergent de Jésus-Christ que saint Louis prisait si fort. Sans aucun doute les barons de Charles partageaient sa légitime fierté pour ce nom de Francs qu’ils avaient porté si haut des rives de l’Atlantique aux bords du Weser. Or, celle fierté, n’est-ce pas un des éléments du patriotisme ?

Extrait de : Conférence donnée à la Salle d’Horticulture, à Paris, le 20 mars 1909, par le Chanoine Stephen Coubé (S.J.).

A suivre…

Les Relations entre la France et l’Eglise

Union France et Vatican Eglise Catholique

La France, Malgré les Sectes Impies, restera unie au Siège de Pierre.
Sous le regard de Clovis, Charlemagne, Saint Louis et Sainte Jeanne d’Arc, la France Réaffirme Sa Fidélité au Pape et à l’Eglise Catholique. Carte postale Saudinos-Ritouret, début XXe siècle.

Rome, monarchie spirituelle, la France, nation catholique

Que feront-elles l’une pour l’autre ?
Quels services se rendront-elles ?

Services, un tel mot est-il juste ? Ne craignons pas de l’affirmer. Les peuples et les chefs d’État ont besoin de l’Église. Que de fois les pontifes l’ont proclamé et, parmi eux, Léon XIII, avec la haute portée de ses vues, la rayonnante clarté de son langage. Les peuples reçoivent de l’Église la vérité qui prévient les dérèglements de l’esprit, la loi morale et les exhortations qui les arrêtent sur la pente du mal. Aux chefs d’État, aux gouvernements , elle assure le respect et la stabilité, en réclamant, de la part de Dieu, l’obéissance à toute autorité légitime.

Mais les souverains et les peuples, de leur côté, peuvent et doivent servir l’Église. Puissance spirituelle, l’Église a besoin d’appuis pour étendre librement le règne de Jésus-Christ, pour faire triompher le droit et le bien contre l’injustice et le mal soutenus par la violence. C’est ce qu’elle veut dire quand, recourant à l’image des deux glaives qui symbolisent l’autorité spirituelle et l’autorité temporelle, elle déclare que l’un doit être manié par l’Église et l’autre pour l’Église.

N’hésitons pas, Messieurs, à le professer hautement, malgré les préjugés contraires : dans cette réciprocité de services, peuples et souverains demeurent débiteurs à l’égard de l’Église, même quand ils ont rempli tout leur devoir.

Mais au cours des âges, aussi bien que de nos jours, combien l’ont rempli ce devoir, ou le remplissent ?

A vrai dire, je ne vois guère de nations ou de souverains qui soient sans péchés. Pourtant, il en est qui ont péché plus que d’autres et qui sont allés, par le schisme ou par l’hérésie, jusqu’à la totale séparation d’avec Rome, la pierre angulaire de l’Église. La France, grâce à Dieu, n’est pas de celles-là ; elle a péché, gravement péché, nous devons l’avouer, mais jamais elle n’a pu prendre son parti de rompre à fond et pour longtemps.

Le signe de son élection et de sa vocation catholiques

Élection, vocation ? En dehors du peuple d’Israël, le peuple de Dieu, y a-t-il donc des peuples élus ? Si je considère la rigueur des termes, je ne le pense pas. Mais il est des prédestinations providentielles que les événements nous permettent de vérifier et ces prédestinations, dans notre histoire à nous, apparaissent avec une telle clarté que, sans nulle présomption, et sans diminuer le rôle d’autres nations, nous nous croyons en droit de nous appliquer la parole du psalmiste : non fecit taliter omni nationi [ Cela il ne l’a fait pour aucune des nations. Ps 147, v. 20 ]. Les crises de notre histoire ont coïncidé avec les crises de l’histoire de l’Église romaine et, finalement, la France a aidé au triomphe de l’Église.

L’harmonie préétablie entre le caractère français et l’idée catholique

Ah! certes, le Français est individualiste, personnel, indépendant ; jusque dans sa façon de concevoir la religion, il apporte quelque chose de cet esprit, quelque chose aussi de national. Mais, d’autre part, comme il possède le sens de l’universel ! Il ne considère pas la vérité, le bien, la justice comme un privilège qu’il doive jalousement garder ; si ce privilège lui est accordé, il a hâte de le partager et de le répandre ; quoi de plus catholique ?

Le Français, tel que l’ont constitué les éléments gaulois, romains, germaniques, qui se rencontrent à ses origines, aime à incarner une idée dans un homme, à s’attacher, à se dévouer à cet homme. Considérez par exemple le soldat gaulois, le soldat franc, le soldat français, soldat de Vercingétorix, soldat de Clovis, soldat de Jeanne d’Arc, soldat de Louis XIV, soldat de Napoléon, soldat de Joffre, de Pétain et de Foch ; ah! certes, il murmure et grogne à l’occasion ; mais il aime son chef et éprouve le besoin d’en être aimé.

Or, l’Église catholique se résume elle aussi en un chef visible, le Pape ; ce chef, le catholique français veut l’aimer et tient à en être aimé ; il voudrait même l’être de préférence à tous.

Souvent, Messieurs, vous l’avez entendu conter : le premier de nos rois, au récit de la Passion, se serait écrié : « Que n’étais-je là avec mes Francs! »

La France Soldat de l’Église Catholique, aux côtés du Vicaire du Christ

Déjà, je vous l’ai marqué d’un mot, devenu catholique romain, Clovis se fit aussitôt le défenseur de la foi catholique ; il abattit les deux royaumes ariens des Burgondes et des Wisigoths et saint Avitus put écrire la lettre à jamais célèbre : « Toutes les fois que vous combattez, c’est nous qui remportons la victoire ; votre foi, c’est notre victoire. » Mais un compliment, un cri de joie ne pouvait suffire ; le grand évêque traçait un programme : « Puisque Dieu a fait de votre peuple son peuple, il convient que, de votre côté, vous partagiez le trésor de votre foi avec les nations plongées dans l’ignorance… Ne craignez pas de vous adresser à elles et de plaider auprès d’elles la cause de ce Dieu qui a tant fait pour la vôtre. »

Programme prophétique ! Sous les Mérovingiens, l’Irlande, l’Angleterre, la Germanie, reçoivent les missionnaires des Francs, et saint Grégoire le Grand peut écrire à Brunehaut que, « si les Saxons ont eu le bonheur d’entendre la prédication de l’Évangile, c’est à elle après Dieu qu’ils en sont redevables »

Extrait de : La Vocation Catholique de la France et sa Fidélité au Saint-Siège à travers les Ages, par Mgr Alfred Baudrillart, 1928.