La Dévotion Au Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ (5)

Doux Cœur de Jésus soyez mon Amour

Doux Cœur de Jésus soyez mon Amour ! (300 jours d’ind.).
Image N°1097 de la Maison Bouasse-Lebel, Paris

Les Amabilités qui se trouvent en la Personne de Jésus-Christ.

On ne peut s’appliquer à connaître Jésus-Christ, sans trouver en lui tout ce qu’il y a d’aimable dans les créatures, soit raisonnables, soit privées de raison. Chacun a son attrait pour aimer, les uns sont plus touchés d’une grande beauté, les autres d’une grande douceur ; une probité indulgente, une grande élévation jointe à une grande modestie sont pour quelques-uns des charmes auxquels ils ne peuvent résister. On en voit qui se laissent engager par les vertus qui leur manquent, parce qu’elles leur paraissent plus admirables que celles qu’ils ont. Quelques autres sont plus sensibles aux qualités qui ont plus de rapports avec leurs propres inclinations ; les belles qualités, les véritables vertus se font aimer de tout le monde. Mais s’il y avait sur la terre une Personne, dit un grand Serviteur de Dieu, en qui toutes les raisons d’aimer fussent réunies, qui pourrait lui refuser son amour ? Or, tout le monde convient que tout cela se trouve réuni excellemment dans la Personne adorable de Jésus-Christ, et cependant Jésus-Christ n’est aimé que de très peu de gens.

La beauté la plus éclatante, dit le Prophète, n’est qu’une fleur sèche en comparaison de celle de ce divin Sauveur ; il me semblait, dit sainte Thérèse, que le Soleil ne versait plus sur la terre que de pâles ombres, dès que j’eus vu dans une extase quelques rayons de la beauté de Jésus-Christ. Les créatures les plus parfaites dans ce monde sont celles qui ont le moins de défauts ; les plus belles qualités dans les hommes sont accompagnées de tant d’imperfections que, tandis que celles-là nous attirent d’un côté, celles-ci nous rebutent de l’autre. Jésus-Christ seul est souverainement parfait, tout est en lui également aimable, et on ne trouve rien en lui qui ne doive attirer tous les cœurs. C’est en lui que nous trouvons tous les avantages de la nature, toutes les richesses de la grâce et de la gloire, toutes les perfections de la divinité assemblées. On n’y découvre que des abîmes et comme des espaces immenses et une étendue infinie de grandeurs. Enfin cet Homme-Dieu qui nous aime si tendrement et que les hommes aiment si peu, est l’objet de l’amour, des hommages, des adorations et des louanges de toute la Cour céleste.

C’est lui qui a l’autorité souveraine de juger les Hommes et les Anges. Le sort et le bonheur éternel de toutes les créatures est entre ses mains. Son domaine s’étend sur toute la nature. Tous les Esprits tremblent en sa présence, ils sont obligés de l’adorer ou par une soumission volontaire d’amour, ou par la souffrance forcée des effets de sa justice. Il règne absolument dans l’ordre de la grâce et dans l’état de la gloire, et tout le monde visible et invisible est sous ses pieds. Est-ce là, Hommes insensibles, est-ce là un objet digne de vos hommages ? Et cet Homme-Dieu avec tous ses titres et toute la gloire qu’il possède, nous aimant jusqu’au point qu’il nous aime, ne mérite-t-il pas que nous l’aimions ?

Image Sacré-Cœur de Jésus peinte

Cœur Sacré de Jésus que votre règne arrive !

Mais ce qui paraît encore plus aimable en ce divin Sauveur, c’est qu’il joint toutes ces qualités éclatantes, tous ces titres magnifiques, cette élévation sublime, à une douceur aussi grande et à une tendresse pour nous qui va jusqu’à l’excès. Sa douceur est si aimable qu’elle a charmé ses plus mortels ennemis. Il a été mené, dit le Prophète, comme une brebis à la boucherie, et il n’a point ouvert sa bouche non plus qu’un agneau qui demeure muet devant celui qui le tond. Il se compare lui-même tantôt à un Père qui ne peut pas contenir sa joie au retour d’un fils débauché, tantôt à un Pasteur, qui ayant trouvé une brebis qui s’était égarée, la met sur ses épaules et appelle ses amis et ses voisins pour se réjouir avec lui, parce qu’il a retrouvé sa brebis. Personne ne vous a-t-il condamnée ? dit-il à la femme adultère. Je ne vous condamnerai pas non plus : allez et ne péchez plus à l’avenir. Il n’use pas d’une moindre douceur à notre égard encore tous les jours. Il est étrange combien de mesure il faut garder dans le monde pour ne pas choquer un ami. Les hommes sont d’une si grande délicatesse qu’il ne faut souvent qu’une mauvaise humeur pour faire oublier les quinze ans de services, et un seul mot dit mal à propos rompt quelquefois la plus grande amitié.

Il n’en est pas de même avec Jésus-Christ. La chose paraît incroyable, mais il est vrai toutefois qu’on en a meilleur compte que du plus reconnaissant de nos amis. Il ne faut point s’imaginer qu’il soit capable de rompre avec nous pour la plus légère ingratitude. Il voit toutes nos infidélités, il connaît toutes nos faiblesses, et il souffre avec une bonté incroyable toutes les misères de ceux qu’il aime. Il les oublie, il fait semblant de ne pas les apercevoir. Sa compassion va jusqu’à consoler lui-même les âmes qui en sont trop affligées ; il ne veut point que la crainte qu’on a de lui déplaire aille jusqu’à nous troubler, jusqu’à nous gêner l’esprit. Il souhaite qu’on évite les moindres fautes, mais il ne veut pas qu’on s’inquiète même des grandes ; il prétend que la joie, la liberté et la paix du cœur soient le partage éternel de ceux qui l’aiment véritablement.

Il ne faut que la moindre de ces qualités dans un Grand du monde pour lui gagner le cœur de tous ses sujets. Le seul récit de quelques-unes de ces vertus dans un Prince qu’on n’a jamais vu, qu’on ne verra jamais, fait impression sur notre cœur, et le fait aimer des étrangers mêmes. Jésus-Christ est le seul en qui toutes ces belles qualités, toutes ces vertus, et tout ce qu’on peut s’imaginer de grand, d’excellent et d’aimable se trouve réuni, et faut-il que tant de raisons d’aimer ne puissent pas nous faire aimer véritablement Jésus-Christ ? Il faut souvent si peu de chose dans le monde pour gagner notre cœur ; nous le donnons, ce cœur, nous le prodiguons en tant d’occasions pour si peu de chose ; vous seul, Seigneur, vous seul ne pouvez y avoir de part.

Peut-on faire quelques réflexions sur ces choses et ne point aimer ardemment Jésus-Christ, et n’avoir pas du moins un regret sensible de ce qu’on l’aime si peu ? En vérité, nous lui devons notre cœur par beaucoup de titres ; et peut-on le lui refuser ce cœur, si l’on ajoute à tous ces titres les bienfaits immenses dont il nous a prévenus, et l’ardeur et la tendresse extrêmes avec lesquelles il nous a aimés et nous aime encore, ne cessant aucun jour de nous donner des preuves éclatantes de l’amour immense qu’il a pour nous ?

Extrait de : La Dévotion au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par le Père Jean Croiset (S.J.). 1895 (d’après l’édition définitive de 1694).

La Dévotion Au Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ (4)

L’Excellence du Cœur Adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Image du Cœur Sacré de notre Seigneur Jésus-Christ

Cœur Sacré de Jésus-Christ, j’ai confiance en Vous !

Le Cœur de Jésus est saint de la sainteté de Dieu même, d’où vient que tous les mouvements de ce Cœur, suivant la dignité de la Personne qui les opère, sont des actions d’un prix et d’une valeur infinis, puisqu’elles sont les actions d’un Homme-Dieu ; il est donc juste que le Sacré Cœur de Jésus-Christ soit honoré d’un culte singulier, puisqu’en l’honorant, nous honorons sa divine Personne.

Si la vénération que nous avons pour les Saints nous rend leur cœur si précieux, si nous le regardons comme la plus précieuse de leurs reliques, que devons-nous penser de l’adorable Cœur de Jésus-Christ ? Quel est le cœur qui a jamais été dans des dispositions si admirables et si conformes à nos véritables intérêts ? Où en trouverons-nous dont les mouvements nous aient été si avantageux ? C’est dans ce Cœur Divin qu’ont été formés tous les desseins de notre salut, et c’est par l’amour dont brûle ce même Cœur que ces mêmes desseins ont été exécutés. Ce Sacré Cœur, dit un grand Serviteur de Dieu, est le siège de toutes les vertus, la source de toutes les bénédictions, et la retraite de toutes les âmes saintes. Les principales vertus qu’on peut encore honorer en lui sont :

Premièrement un amour très ardent de Dieu son Père, joint à un respect très profond, et à la plus grande humilité qui fut jamais ; Secondement une patience infinie dans les maux, une douleur extrême pour les péchés dont il s’était chargé, la confiance d’un fils très tendre, alliée à la confusion d’un très grand pécheur ; Troisièmement une compassion très sensible pour nos misères ; un amour immense pour nous, malgré ces mêmes misères ; et nonobstant tous ces mouvements, dont chacun était au plus haut point qu’il pût être, une égalité inaltérable, causée par une conformité si parfaite à la volonté de Dieu, qu’il ne pouvait être troublé par aucun événement, quelque contraire qu’il parût à son zèle, à son humilité, à son amour même, et à toutes les autres dispositions où il était.

Ce Cœur adorable est encore, autant qu’il le peut être, dans les mêmes sentiments, et surtout toujours brûlant d’amour pour les hommes ; toujours ouvert pour répandre sur eux toute sorte de grâces et de bénédictions ; toujours touché de nos maux ; toujours pressé du désir de nous faire part de ses trésors et de se donner lui-même à nous ; toujours disposé à nous recevoir et à nous servir d’asile, de demeure, de paradis dès cette vie. Pour tout cela il ne trouve dans le cœur des hommes que dureté, qu’oubli, que mépris, qu’ingratitude. Ne sont-ce pas là des motifs capables de porter les Chrétiens à honorer ce Sacré Cœur, et à réparer tant de mépris et tant d’outrages par des preuves éclatantes de leur amour ? »

Extrait de : La Dévotion au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par le Père Jean Croiset (S.J.). 1895 (d’après l’édition définitive de 1694).

La Dévotion Au Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ (3)

Les motifs de cette Dévotion.

Ce qu’on entend par la Dévotion au Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et en quoi elle consiste.

Saint Claude de la Colombière et le Sacré-Cœur

Saint Claude de la Colombière et le Sacré-Cœur de Jésus.

Le Père de la Colombière, qui avait le discernement fort juste, n’était pas homme à croire légèrement quoi que ce soit ; mais il avait des preuves trop éclatantes de la haute et solide vertu de la Personne qui lui parlait, pour craindre en ceci la moindre illusion ; c’est pourquoi il s’appliqua aussitôt au ministère que Dieu venait de lui confier. Mais pour s’en acquitter solidement et parfaitement, il voulut commencer par lui-même; il se consacra donc entièrement au Sacré Cœur de Jésus ; il lui offrit tout ce qu’il crut en lui capable de l’honorer et de lui plaire ; et les grâces extraordinaires qu’il reçut de cette pratique le confirmèrent bientôt dans l’idée qu’il avait eue de l’importance et de la solidité de cette Dévotion.

Il n’eut pas plus tôt considéré quels étaient les sentiments pleins de tendresse que Jésus-Christ a pour nous dans le Saint Sacrement, où son Sacré Cœur est toujours brûlant d’amour pour les hommes, toujours ouvert pour répandre sur eux toute sorte de grâces et de bénédictions, qu’il ne put se représenter sans gémir les outrages horribles que Jésus-Christ y souffre depuis si longtemps par la malice des Hérétiques, et par le mépris étrange que la plupart des Catholiques mêmes font de Jésus-Christ dans cet auguste Sacrement ; cet oubli, ce mépris, ces outrages le touchèrent sensiblement et l’obligèrent de se consacrer de nouveau à ce Sacré Cœur par cette belle Oraison, qu’il appelle Offrande au Sacré Cœur de Jésus.

Le voyage du Serviteur de Dieu en Angleterre, sa prison, et le peu de temps qu’il a survécu à son retour en France, ne lui ont pas permis d’en instruire davantage le public. Mais Dieu n’a pas laissé son ouvrage imparfait ; il a lui-même inspiré cette Dévotion qu’il avait fait connaître à sainte Gertrude être particulièrement réservée pour ces derniers temps, afin d’exciter par ce moyen la tiédeur et la lâcheté des fidèles ; et par le moyen d’un petit Livre compose presque par hasard, sans étude, sans art, sans dessein, il a inspiré cette Dévotion au.x personnes mêmes qui ne l’avaient jamais goûtée, et qui autrefois, sans savoir presque de quoi il s’agissait, l’avaient pour ainsi dire décriée ; et Dieu s’est servi même particulièrement de ceux-ci pour l’inspirer presque partout.

Ainsi, en moins d’un an, on a vu cette Dévotion heureusement établie : les plus sages Directeurs, les Docteurs et les Prélats en ont fait eux-mêmes l’éloge, les Prédicateurs l’ont prêchée avec succès ; on a bâti des Chapelles à l’honneur du Sacré Cœur de Jésus-Christ ; on a gravé, on a peint son Image, on lui a dressé des Autels, et les Religieuses de la Visitation qui, animées de l’esprit de leur saint Fondateur, ont été en ceci les plus zélées ou du moins les premières, ont eu le plaisir d’entendre chanter solennellement à Dijon, dans la Chapelle qu’elles ont fait bâtir au Sacré Cœur de Jésus la Messe composée en son honneur.

Leur exemple a déjà été suivi avec un très grand fruit de plusieurs autres Religieuses ; cette solide Dévotion s’est répandue et établie avec un succès merveilleux presque par toute la France, elle a passé dans les Royaumes étrangers ; elle est allée même au delà des mers ; elle s’est établie à Québec et à Malte ; et l’on a sujet de croire que par le moyen des Missionnaires elle s’est déjà répandue dans la Syrie, dans les Indes, et jusque dans la Chine.

Enfin l’approbation universelle qu’a eue cette Dévotion, l’estime qu’en ont faite les Personnes d’un mérite et d’une vertu universellement reconnus font espérer que Jésus-Christ sera désormais moins oublié, mieux servi, et beaucoup plus aimé.

Sacré-Cœur de Jésus avec frise florale

Combien la Dévotion au Sacré Cœur de Notre- Seigneur Jésus-Christ est Juste et Raisonnable.

Les raisons qui persuadent l’amour de Jésus-Christ sont au-dessus de tout sentiment ; les âmes les goûtent selon leur état dans la grâce, et il semble que vouloir chercher des motifs pour nous porter à aimer Notre-Seigneur, c’est ou oublier ce que nous sommes, ou croire que nous ne savons pas ce qu’il est.

Il pourrait donc paraître inutile de rapporter ici les motifs qui doivent nous porter à la Dévotion au Sacré Cœur de Jésus, puisque cette Dévotion est elle-même un exercice de l’amour qu’on doit avoir pour Jésus-Christ. Cependant, comme tous les hommes ne sont pas toujours dans les mêmes dispositions, et que la grâce n’est pas toujours égale dans tous les hommes, on a jugé à propos de faire du moins quelques réflexions sur les trois principaux Motifs qui semblent nous toucher davantage, et auxquels tout homme raisonnable se rend.

Ces trois Motifs se prennent des trois choses qui ont le plus de force sur notre esprit et sur notre cœur, à savoir la Raison, l’Intérêt et le Plaisir. On va donc faire voir dans ce Chapitre et dans les deux suivants : Premièrement, Combien la Dévotion au Sacré Cœur de Jésus est juste et raisonnable ; Deuxièmement, Combien elle est utile et à notre salut et à notre perfection ; Troisièmement, Combien cette Dévotion a de véritable douceur. A la vérité, soit qu’on regarde l’objet sensible de cette Dévotion, qui est le Sacré Cœur de Jésus, soit qu’on s’arrête à l’objet principal et spirituel, qui est l’Amour immense de Jésus-Christ envers les hommes, de quels sentiments de respect, de reconnaissance et d’amour ne doit-on pas être rempli !

Extrait de : La Dévotion au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par le Père Jean Croiset (S.J.). 1895 (d’après l’édition définitive de 1694).

La Dévotion Au Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ (2)

Image pieuse Cœur Sacré de Jésus-Christ

Cœur Sacré de Jésus-Christ, Je crois en votre amour pour moi.

Les motifs de cette Dévotion.

Ce qu’on entend par la Dévotion au Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et en quoi elle consiste.

C’est pour la même raison que l’Église, voulant nous donner un objet sensible des souffrances du Fils de Dieu, lesquelles ne sont pas moins spirituelles que son amour, nous représente l’image de ses sacrées Plaies ; de sorte que comme la Dévotion aux sacrées Plaies n’est proprement qu’une Dévotion particulière à Jésus-Christ souffrant ; de même la Dévotion au Sacré Cœur de Jésus est une Dévotion plus affectueuse et plus ardente envers Jésus-Christ dans le Saint Sacrement, en considération de l’amour extrême qu’il nous témoigne, et dans le dessein de réparer le mépris qu’on en fait.

Et certes le Sacré Cœur de Jésus-Christ a pour le moins autant de rapport avec son amour, pour lequel on prétend par cette Dévotion inspirer des sentiments de gratitude, que les sacrées Plaies en ont avec ses souffrances pour lesquelles l’Église prétend, par la Dévotion à ces mêmes Plaies, inspirer des sentiments de reconnaissance et d’amour. Or, si on a eu de tout temps tant de Dévotion aux sacrées Plaies de Jésus-Christ, et si l’Église, voulant inspirer à tous ses enfants l’amour de Jésus-Christ, leur met sans cesse devant les yeux ces mêmes Plaies, que ne doivent pas faire le souvenir et l’image de son Sacré Cœur ?

On verra, dans la suite, que cette Dévotion n’est pas nouvelle et que plusieurs grands Saints en confirment l’usage par leur exemple. On peut dire même que le Saint-Siège l’a autorisée sous le même titre, puisque Clément X, par une Bulle expresse du 4 Octobre de l’année 1674, a accordé de grandes Indulgences à une Association du Sacré Cœur de Jésus, dans l’église du séminaire de Coutances consacrée en son honneur, et Notre Saint Père le Pape Innocent XII vient d’accorder, par un Bref exprès, une Indulgence plénière en faveur de la Dévotion à ce Sacré Cœur.

Il n’est pas nécessaire de rapporter ici cent raisons qui démontrent la solidité de cette Dévotion ; il suffit de dire que l’amour immense que Jésus a pour nous et dont il nous donne une si belle preuve dans l’adorable Eucharistie en est le motif principal ; que la réparation du mépris qu’on fait de cet amour est la fin principale qu’on s’y propose ; que le Sacré Cœur de Jésus tout embrasé de cet amour en est l’objet sensible, et qu’un amour très ardent et très tendre pour la Personne de Jésus-Christ en doit être le fruit.

De quelle Voie Dieu s’est servi pour inspirer cette Dévotion.

Gravure Saint Claude de la Colombière

Saint Claude de la Colombière, directeur spirituel de Sainte-Marguerite-Marie à Paray-le-Monial.

Le Père de la Colombière, de la Compagnie de Jésus, fut un des premiers dont Dieu se servit pour porter les fidèles à cette Dévotion. Ce grand Serviteur de Dieu, encore plus illustre par sa glorieuse qualité de Confesseur de Jésus-Christ en Angleterre, que par celle de Prédicateur de Son Altesse Royale Madame la Duchesse d’York, aujourd’hui Reine de la Grande Bretagne ; célèbre à la vérité par ses Ouvrages, dans lesquels il a su si bien joindre la solidité à la politesse et la politesse à l’onction ; mais encore plus estimé par cette sublime vertu à laquelle il s’était obligé par un vœu exprès d’aspirer sans cesse et à laquelle il est arrivé en si peu de temps, avec l’admiration de tous ceux qui l’ont connu et même des Hérétiques ; ce grand Serviteur de Dieu, dis-je, conçut d’abord une si juste idée de la solidité et de l’importance de cette Dévotion, il reçut de Dieu de si grandes faveurs par le moyen de ces saintes pratiques, qu’il se crut obligé de ne rien oublier pour rendre public un trésor qui appartient à tout le monde et que la plupart cependant ne connaissent point. Voici ce qu’il en avait écrit dans le Journal de ses Retraites spirituelles, qu’il avait fait à Londres et qu’on a donné au public après sa mort :

« Finissant, dit-il, cette Retraite plein de confiance en la miséricorde de mon Dieu, je me suis fait une loi de procurer, par toutes les voies possibles, l’exécution de ce qui me fut prescrit de la part de mon adorable Maître à l’égard de son précieux Corps dans le très Saint Sacrement de l’Autel, où je le crois véritablement et réellement présent… Comblé des douceurs que je puis goûter et recevoir de la miséricorde de mon Dieu, sans les pouvoir expliquer,… j’ai reconnu que Dieu voulait que je le servisse en procurant l’accomplissement de ses désirs touchant la Dévotion qu’il a suggérée à une Personne à qui il se communique fort confidemment, et pour laquelle il a bien voulu se servir de ma faiblesse. Je l’ai déjà inspirée à bien des gens en Angleterre et j’en ai écrit en France et prié un de mes amis de la faire valoir à l’endroit où il est ; elle y sera fort utile et le grand nombre d’âmes choisies qu’il y a dans cette Communauté me fait croire que la pratique dans cette sainte Maison en sera fort agréable à Dieu. Que ne puis-je, mon Dieu, être partout et publier ce que vous attendez de vos serviteurs et amis !

Dieu donc s’étant ouvert à la Personne qu’on a sujet de croire être selon son Cœur, par les grandes grâces qu’il lui a faites, elle s’en expliqua à moi et je l’obligeai de mettre par écrit ce qu’elle m’avait dit, que j’ai bien volontiers décrit moi-même dans le Journal de mes Retraites, parce que le bon Dieu veut, dans l’exécution de ce dessein, se servir de mes faibles soins.

Étant, dit cette sainte Âme, devant le Saint Sacrement, un jour de son Octave, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour ; touchée du désir d’user de quelque retour et de rendre amour pour amour, il me dit : Tu ne m’en peux rendre un plus grand qu’en faisant ce que je l’ai déjà tant de fois demandé ; et me découvrant son Divin Cœur : Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plus grande partie que des ingratitudes, par les mépris, les irrévérences, les sacrilèges et les froideurs qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour ; mais ce qui est encore plus rebutant, c’est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui me traitent ainsi. C’est pour cela que je te demande que le premier Vendredi d’après l’Octave du Saint Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en lui faisant réparation d’honneur par une Amende honorable, communiant ce jour-là pour réparer les indignités qu’il a reçues pendant le temps qu’il a été exposé sur les Autels ; et je te promets que mon Cœur se dilatera pour répandre avec abondance les influences de son Divin Amour sur ceux qui lui rendront cet honneur.

Mais, mon Seigneur, à qui vous adressez-vous, lui dit cette Personne, à une si chétive créature, et pauvre pécheresse que son indignité serait même capable d’empêcher l’accomplissement de votre dessein ? « Vous avez tant d’âmes généreuses pour exécuter vos desseins. — Hé quoi, pauvre innocente que tu es, ne sais-tu pas que je me sers des sujets les plus faibles, pour confondre les forts ? que c’est ordinairement sur les plus petits et pauvres d’esprits, sur lesquels je fais voir ma puissance avec plus d’éclat, afin qu’ils ne s’attribuent rien à eux-mêmes ? — Donnez -moi donc, lui dis-je, le moyen de faire ce que vous me commandez ; pour lors il m’ajouta : Adresse-toi à mon Serviteur N… (le P. de la Colombière) et lui dis de ma part de faire son possible pour établir cette Dévotion et donner ce plaisir à mon Divin Cœur ; qu’il ne se décourage point pour les difficultés qu’il y rencontrera, car il n’en manquera pas ; mais il doit savoir que celui-là est tout-puissant qui se défie entièrement de soi-même, pour se confier uniquement à moi. »

Extrait de : La Dévotion au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par le Père Jean Croiset (S.J.). 1895 (d’après l’édition définitive de 1694).

La Dévotion Au Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ (1)

Votre amour seul Cœur de Jésus saint Ignace

Votre amour seul, ô Cœur de Jésus ! et je suis assez riche. Saint Ignace.

PREMIÈRE PARTIE

Les motifs de cette Dévotion.

CHAPITRE PREMIER

Ce qu’on entend par la Dévotion au Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et en quoi elle consiste.

L’OBJET particulier de cette Dévotion est l’amour immense du Fils de Dieu, qui l’a porté à se livrer pour nous à la mort, et à se donner tout à nous dans le très Saint Sacrement de l’Autel, sans que la vue de toutes les ingratitudes et de tous les outrages qu’il devait recevoir en cet état de Victime immolée jusqu’à la fin des siècles, ait pu l’empêcher de faire ce prodige ; aimant mieux s’exposer tous les jours aux insultes et aux opprobres des hommes, que de ne. nous pas témoigner, par la plus grande de toutes les merveilles, jusques à quel excès il nous aime.

C’est ce qui a excité la piété et le zèle de plusieurs personnes qui, considérant combien on est peu sensible à cet excès d’amour, combien on aime peu Jésus-Christ, combien on se met peu en peine qu’il nous aime, n’ont pu souffrir de le voir tous les jours si maltraité, sans lui en témoigner leur juste douleur, et le désir extrême qu’elles ont de réparer, autant qu’elles peuvent, tant d’ingratitudes et tant de mépris, par leur ardent amour, par leurs profonds respects, et par toute sorte d’hommages.

Dans ce dessein on a choisi certains jours de l’année, pour reconnaître d’une manière plus particulière l’amour extrême que Jésus-Christ nous témoigne dans le Saint Sacrement ; et en même temps pour lui faire quelque réparation d’honneur, pour toutes les indignités, et pour tous les mépris que cet aimable Sauveur a reçus, et qu’il reçoit encore tous les jours dans ce Mystère d’amour. Et certainement ce regret que l’on sent à la vue du peu d’amour que l’on a pour Jésus-Christ dans cet adorable Mystère, cette douleur sensible qu’on a de l’y voir si maltraité, ces pratiques de Dévotion que le seul amour suggère, et qui ne tendent qu’à réparer, autant qu’il est possible, tous les outrages qu’il y souffre, sont des preuves certaines de l’ardent amour qu’on a pour Jésus-Christ, et des marques visibles d’une juste reconnaissance.

Il est aisé de voir que l’Objet et le Motif principal de cette Dévotion est, comme on a déjà dit, l’amour immense que Jésus-Christ a pour les hommes, qui n’ont la plupart que du mépris, ou du moins de l’indifférence pour lui.

La Fin qu’on s’y propose, c’est, premièrement, de reconnaître et d’honorer autant qu’il est en nous, par nos fréquentes adorations, par un retour d’amour, par nos remerciements, et par toute sorte d’hommages, tous les sentiments d’amour et de tendresse que Jésus-Christ a pour nous dans l’adorable Eucharistie, où cependant il est si peu connu des hommes, ou du moins si peu aimé de ceux mêmes dont il est connu.

Secondement, de réparer, par toutes les voies possibles, les indignités et les outrages auxquels l’amour l’a exposé durant le cours de sa vie mortelle, et auxquels le même amour l’expose encore tous les jours dans le Saint Sacrement de l’Autel. De sorte que toute cette Dévotion ne consiste, à proprement parler, qu’à aimer ardemment Jésus-Christ, que nous avons sans cesse avec nous dans l’adorable Eucharistie, et à lui témoigner cet ardent amour, par le regret qu’on a de le voir si peu aimé et si peu honoré des hommes, et par les moyens que l’on prend pour réparer ce mépris et ce peu d’amour.

Mais parce que nous avons toujours besoin dans l’exercice des Dévotions même les plus spirituelles, de certains objets matériels et sensibles qui, nous frappant davantage, nous en renouvellent le souvenir et nous en facilitent la pratique, on a choisi le Sacré Cœur de Jésus comme l’objet sensible le plus digne de nos respects et le plus propre en même temps à la fin qu’on se propose dans cette Dévotion.

A la vérité, quand on n’aurait pas eu des raisons particulières de donner à ces exercices de piété le titre de Dévotion au Sacré Cœur de Jésus, il semble qu’on ne pouvait pas mieux exprimer le caractère particulier de cette Dévotion que par ce titre ; car enfin ce n’est ici proprement qu’un exercice d’amour : l’amour en est l’Objet, l’amour en est le Motif principal, et c’est l’amour qui en doit être la Fin. Le cœur de l’homme, dit saint Thomas, est en quelque manière et la source et le siège de l’amour; ses mouvements naturels suivent et imitent continuellement les affections de l’âme, et ne servent pas peu par leur force, ou par leur faiblesse, à faire croître ou à diminuer ses passions.

C »est pour cela qu’on attribue ordinairement au cœur les plus tendres sentiments de l’âme, et c’est encore ce qui rend si vénérable et si précieux le cœur des Saints.

De tout ce qu’on a dit jusqu’ici il est aisé de voir ce qu’on entend par la Dévotion au Sacré Cœur de Jésus : On entend un ardent amour que l’on conçoit pour Jésus-Christ, au souvenir de toutes les merveilles qu’il a faites pour nous témoigner sa tendresse, et surtout dans le Sacrement de l’Eucharistie, qui est le miracle de son amour : On entend un regret sensible que l’on a à la vue des outrages que les hommes font à Jésus-Christ dans cet adorable Mystère : On entend un désir ardent de ne rien oublier pour réparer, par toutes les voies possibles, tous ces outrages ; et voilà ce qu’on entend par la Dévotion au Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, voilà en quoi elle consiste ; et elle ne se réduit pas, (comme quelques-uns auraient pu s’imaginer en voyant ce titre,) à aimer seulement, et à honorer d’un culte singulier ce Cœur de chair semblable au nôtre, qui fait une partie du Corps adorable de Jésus-Christ.

Ce n’est pas que ce Sacré Cœur ne mérite nos adorations ; il suffit de dire que c’est le Cœur de Jésus-Christ : et si son Corps et son Sang précieux méritent tous nos respects, qui ne voit que son Sacré Cœur demande encore plus particulièrement nos hommages ; et si l’on se sent si porté à la Dévotion envers ses sacrées Plaies, combien doit-on se sentir plus pénétré de Dévotion envers son Sacré Cœur ? Ce qu’on prétend est de faire voir qu’on ne prend ici ce mot de Cœur que dans le sens figuré, et que ce divin Cœur, considéré comme une partie du Corps adorable de Jésus-Christ, n’est proprement que l’objet sensible de cette Dévotion, et que ce n’est que l’amour immense que Jésus-Christ nous porte qui en soit le motif principal. Or, cet amour étant tout spirituel, on ne pouvait pas le rendre sensible ; il a donc fallu trouver un symbole ; et quel symbole plus propre et plus naturel de l’amour que le cœur ?

Extrait de : La Dévotion au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par le Père Jean Croiset (S.J.). 1895 (d’après l’édition définitive de 1694).