Sainte Jeanne d’Arc par Etienne Azambre (1859-1933)
XIV
« N’était la grâce de Dieu, je ne saurais rien faire. »
Il est remarquable que les erreurs des hommes ont particulièrement pour objet les choses qui leur importent le plus dans la vie. Nous sommes avides de liberté, et elle est notre plus bel apanage. Or, combien peu entendent la nature véritable de la liberté !
Nés pour le bonheur, il est rare que nous comprenions bien ce qui peut nous le donner.
Désireux de la gloire, nous nous faisons une idée fausse de la dignité de la vie et des conditions qui l’assurent. C’est la cause pour laquelle tant d’hommes refusent, en théorie et dans la pratique, le secours de la grâce et estiment que le dogme qui nous en enseigne la nécessité est négatif de la dignité humaine et des admirables dons de notre nature.
Je ne sais pourtant d’enseignement plus consolant et plus honorable pour nous.
— Déchu par sa faute de la perfection première dans laquelle Dieu l’avait créé, l’homme n’a plus de forces à la hauteur de la tâche qui lui est tracée. Le travail le fatigue, la maladie l’effraie, la vertu le surpasse.
Dieu qui l’aime vient à son secours, et restaurant par là ce que l’homme a brisé, il lui accorde, en plus des dons de la nature, un don surnaturel qui complète ce qui manque en nous.
Sans ce secours, faibles que nous sommes, nous ne suffisons pas au labeur de la vie ; avec lui nous pouvons bien vivre. Si Dieu, du reste, par bonté, nous l’accorde toujours, nous sommes libres de l’accepter ou de le refuser. Dieu ne nous violente pas, même pour nous sauver.
L’acceptons nous, notre vie n’est ni l’œuvre de Dieu seul, ni seulement la nôtre ; elle est le fruit de l’action combinée de Dieu et de nous-mêmes.
Dieu mérite notre gratitude parce qu’il nous accorde son secours, et nous avons notre mérite parce que de ce secours nous tirons parti.
En quoi un tel dogme entrave-t-il l’activité humaine, et combien au contraire ne nous honore pas cette intervention de Dieu dans notre vie et cette collaboration à laquelle il nous convie avec lui ?
« Je puis tout en Celui qui me fortifie », .disait saint Paul. « N’était la grâce de Dieu, je ne saurais rien faire », ajoute Jeanne d’Arc. On ne saurait mieux résumer la touchante économie de la Providence de Dieu et du mérite de l’homme.
Sainte Jeanne d’Arc Priez pour nous.
XV
J’adresse à Dieu ma requête de cette manière : « Très doulx Dieu, en l’honneur de vostre Sainte Passions, je vous requiers, si vous m’aimez, que vous me revéliez ce que je dois répondre… Pour ce, plaise à vous me l’enseigner. »
Ainsi priait Jeanne ; nulle invocation n’est plus touchante. On y retrouve cette intimité que la vivacité de sa foi et la tendresse de son cœur lui avaient donnée avec Notre Seigneur et la cour céleste. « Très doulx Dieu ! »
Le mystère de la Passion excita toujours au plus haut degré la dévotion de Jeanne. Aussi s’en fait-elle un titre près du Sauveur en le priant : « En l’honneur de vostre sainte Passion. »
« Je vous requiers, si vous m’aimez. » Je ne sais rien de plus touchant que cette sorte d’argument qui se fait de l’amour même dont on est l’objet une force pour obtenir ce que l’on désire. C’est le langage de l’enfant à sa mère, celui de l’ami près de ceux dont il est aimé. « Je vous requiers, si vous m’aimez. »
La conclusion n’est ni moins touchante, ni moins naïve : « Pour ce, plaise à vous me l’enseigner. » Je crois qu’une mère serait bien inspirée d’apprendre à ses jeunes enfants, pour qu’ils la disent chaque jour, cette prière de Jeanne d’Arc.
XVI
Jeanne d’Arc au sacre de Charles VII, gravure inspirée de Lenepveu
«Aidiez-vous plus à votre étendard ou l’étendard à vous ? », lui demanda un juge. — « De la victoire de étendard ou de Jeanne c’était tout à Notre-Seigneur. » — « Mais l’espérance d’avoir victoire était-elle fondée en votre étendard ou en vous ? » — « En Notre-Seigneur et non ailleurs. »
Je ne sais plus triste spectacle que celui du procès de Jeanne d’Arc. Rien de plus navrant que cette enfant abandonnée, avec sa droiture, aux pièges qu’on lui tend. Rien de misérable comme ces soixante hommes, juges indignes, qui chacun avec sa ruse ou son érudition, chacun avec les armes qui lui sont propres, tâchent de la surprendre en ses paroles, de l’amener à quelque contradiction dont on puisse tirer parti pour la perdre.
Elle avait dit : « C’est un dicton dans mon pays que de dire : Aide-toi, Dieu t’aidera. » Cette parole est conforme à la foi comme au bon sens.
Mais puisque Jeanne estime que l’homme a une part dans sa vie et que Dieu ne le sauve pas sans lui, ne pourrait-on point l’amener à faire trop large cette part de l’action humaine ? Ne pourrait-on lui faire confesser qu’elle a eu des privilèges que les autres n’ont pas, déclarer surtout que, sans s’adonner à la magie, elle avait du moins je ne sais quel pouvoir mystérieux attaché à telle ou telle pratique, à telle ou telle de ses armes ?
Jeanne aimait son étendard : il avait été le témoin et le signe de ses combats et de ses triomphes. C’est de lui qu’elle avait dit, à l’occasion du sacre de Reims : « Il avait été à la peine,n’était-il pas juste qu’il fût à l’honneur ? »
On tente donc de lui faire déclarer qu’à son étendard était attachée quelque vertu magique : Aidiez-vous plus à l’étendard, que l’étendard à vous ? — De la victoire de l’étendard . ou de Jeanne, répond-‘elle, c’était tout à Notre-Seigneur. — Mais, insiste-t-on, l’espérance d’avoir victoire était-elle fondée sur votre étendard ou en vous ? — En Notre-Seigneur et non ailleurs.
— Elle avait raison.
Du moment que Dieu a voulu que notre vie fût notre œuvre en même temps que la sienne, il a dû nous donner les forces nécessaires à cette tâche. C’est le but des dons naturels et surnaturels qu’il nous fait.
Chose étonnante, si rien pouvait étonner chez l’homme : nous nous faisons une force contre Dieu des bienfaits de sa main. Nous ressemblons à ces nourrissons dodus et bien portants, dont parle le moraliste,et qui emploient à frapper le sein de leur nourrice la force que son lait leur a donnée.
L’orgueil est insensé et il n’est pas un homme au monde qui puisse parler bon sens cinq minutes pour justifier un seul mouvement d’orgueil si court qu’il soit.
L’orgueil cependant a dans notre âme une naturelle racine que les efforts de la vertu étouffent et arrêtent mais qu’ils ne détruisent jamais à fond.
L’étendard est quelque chose et l’usage qui en est fait est méritoire. Jeanne et son étendard ont leur place marquée au sacre de Reims. Mais sur quoi donc se fondent l’espérance, la valeur de Jeanne et l’action de l’étendard ? « Sur Notre-Seigneur et pas ailleurs, » répond la sage enfant.
Les dons naturels de l’esprit et du cœur sont un trésor magnifique. Ce sont eux qui assurent à l’homme la place éminente qu’il occupe dans la création. Mais ces dons viennent de Dieu. C’est Dieu aussi qui les conserve, et sans lui l’homme ne les ferait point valoir.
Sans Dieu l’homme ne peut travailler, et sans le travail tout demeure stérile.
Disons donc avec Jeanne : « De la victoire de l’étendard ou de Jeanne, c’était tout à Notre-Seigneur. »
O hommes, élevez-vous jusqu’à ces sages et salutaires pensées de la foi, pour vous grandir. L’orgueil abaisse, quoi qu’on en pense, l’humilité grandit.
Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.