Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – 14ème, 15ème et 16ème Paroles

Sainte Jeanne d'Arc par Etienne Azambre

Sainte Jeanne d’Arc par Etienne Azambre (1859-1933)

XIV

« N’était la grâce de Dieu, je ne saurais rien faire. »

Il est remarquable que les erreurs des hommes ont particulièrement pour objet les choses qui leur importent le plus dans la vie. Nous sommes avides de liberté, et elle est notre plus bel apanage. Or, combien peu entendent la nature véritable de la liberté !

Nés pour le bonheur, il est rare que nous comprenions bien ce qui peut nous le donner.
Désireux de la gloire, nous nous faisons une idée fausse de la dignité de la vie et des conditions qui l’assurent. C’est la cause pour laquelle tant d’hommes refusent, en théorie et dans la pratique, le secours de la grâce et estiment que le dogme qui nous en enseigne la nécessité est négatif de la dignité humaine et des admirables dons de notre nature.

Je ne sais pourtant d’enseignement plus consolant et plus honorable pour nous.

— Déchu par sa faute de la perfection première dans laquelle Dieu l’avait créé, l’homme n’a plus de forces à la hauteur de la tâche qui lui est tracée. Le travail le fatigue, la maladie l’effraie, la vertu le surpasse.

Dieu qui l’aime vient à son secours, et restaurant par là ce que l’homme a brisé, il lui accorde, en plus des dons de la nature, un don surnaturel qui complète ce qui manque en nous.
Sans ce secours, faibles que nous sommes, nous ne suffisons pas au labeur de la vie ; avec lui nous pouvons bien vivre. Si Dieu, du reste, par bonté, nous l’accorde toujours, nous sommes libres de l’accepter ou de le refuser. Dieu ne nous violente pas, même pour nous sauver.

L’acceptons nous, notre vie n’est ni l’œuvre de Dieu seul, ni seulement la nôtre ; elle est le fruit de l’action combinée de Dieu et de nous-mêmes.
Dieu mérite notre gratitude parce qu’il nous accorde son secours, et nous avons notre mérite parce que de ce secours nous tirons parti.
En quoi un tel dogme entrave-t-il l’activité humaine, et combien au contraire ne nous honore pas cette intervention de Dieu dans notre vie et cette collaboration à laquelle il nous convie avec lui ?
« Je puis tout en Celui qui me fortifie », .disait saint Paul. « N’était la grâce de Dieu, je ne saurais rien faire », ajoute Jeanne d’Arc. On ne saurait mieux résumer la touchante économie de la Providence de Dieu et du mérite de l’homme.

Sainte Jeanne d'Arc, Priez pour Nous

Sainte Jeanne d’Arc Priez pour nous.

XV

J’adresse à Dieu ma requête de cette manière : « Très doulx Dieu, en l’honneur de vostre Sainte Passions, je vous requiers, si vous m’aimez, que vous me revéliez ce que je dois répondre… Pour ce, plaise à vous me l’enseigner. »

Ainsi priait Jeanne ; nulle invocation n’est plus touchante. On y retrouve cette intimité que la vivacité de sa foi et la tendresse de son cœur lui avaient donnée avec Notre Seigneur et la cour céleste. « Très doulx Dieu ! »

Le mystère de la Passion excita toujours au plus haut degré la dévotion de Jeanne. Aussi s’en fait-elle un titre près du Sauveur en le priant : « En l’honneur de vostre sainte Passion. »
« Je vous requiers, si vous m’aimez. » Je ne sais rien de plus touchant que cette sorte d’argument qui se fait de l’amour même dont on est l’objet une force pour obtenir ce que l’on désire. C’est le langage de l’enfant à sa mère, celui de l’ami près de ceux dont il est aimé. « Je vous requiers, si vous m’aimez. »

La conclusion n’est ni moins touchante, ni moins naïve : « Pour ce, plaise à vous me l’enseigner. » Je crois qu’une mère serait bien inspirée d’apprendre à ses jeunes enfants, pour qu’ils la disent chaque jour, cette prière de Jeanne d’Arc.

XVI

Jeanne d'Arc au sacre de Charles VII, Lenepveu

Jeanne d’Arc au sacre de Charles VII, gravure inspirée de Lenepveu

«Aidiez-vous plus à votre étendard ou l’étendard à vous ? », lui demanda un juge. — « De la victoire de étendard ou de Jeanne c’était tout à Notre-Seigneur. » — « Mais l’espérance d’avoir victoire était-elle fondée en votre étendard ou en vous ? » — « En Notre-Seigneur et non ailleurs. »

Je ne sais plus triste spectacle que celui du procès de Jeanne d’Arc. Rien de plus navrant que cette enfant abandonnée, avec sa droiture, aux pièges qu’on lui tend. Rien de misérable comme ces soixante hommes, juges indignes, qui chacun avec sa ruse ou son érudition, chacun avec les armes qui lui sont propres, tâchent de la surprendre en ses paroles, de l’amener à quelque contradiction dont on puisse tirer parti pour la perdre.

Elle avait dit : « C’est un dicton dans mon pays que de dire : Aide-toi, Dieu t’aidera. » Cette parole est conforme à la foi comme au bon sens.

Mais puisque Jeanne estime que l’homme a une part dans sa vie et que Dieu ne le sauve pas sans lui, ne pourrait-on point l’amener à faire trop large cette part de l’action humaine ? Ne pourrait-on lui faire confesser qu’elle a eu des privilèges que les autres n’ont pas, déclarer surtout que, sans s’adonner à la magie, elle avait du moins je ne sais quel pouvoir mystérieux attaché à telle ou telle pratique, à telle ou telle de ses armes ?

Jeanne aimait son étendard : il avait été le témoin et le signe de ses combats et de ses triomphes. C’est de lui qu’elle avait dit, à l’occasion du sacre de Reims : « Il avait été à la peine,n’était-il pas juste qu’il fût à l’honneur ? »

On tente donc de lui faire déclarer qu’à son étendard était attachée quelque vertu magique : Aidiez-vous plus à l’étendard, que l’étendard à vous ? — De la victoire de l’étendard . ou de Jeanne, répond-‘elle, c’était tout à Notre-Seigneur. — Mais, insiste-t-on, l’espérance d’avoir victoire était-elle fondée sur votre étendard ou en vous ? — En Notre-Seigneur et non ailleurs.

— Elle avait raison.

Du moment que Dieu a voulu que notre vie fût notre œuvre en même temps que la sienne, il a dû nous donner les forces nécessaires à cette tâche. C’est le but des dons naturels et surnaturels qu’il nous fait.

Chose étonnante, si rien pouvait étonner chez l’homme : nous nous faisons une force contre Dieu des bienfaits de sa main. Nous ressemblons à ces nourrissons dodus et bien portants, dont parle le moraliste,et qui emploient à frapper le sein de leur nourrice la force que son lait leur a donnée.

L’orgueil est insensé et il n’est pas un homme au monde qui puisse parler bon sens cinq minutes pour justifier un seul mouvement d’orgueil si court qu’il soit.

L’orgueil cependant a dans notre âme une naturelle racine que les efforts de la vertu étouffent et arrêtent mais qu’ils ne détruisent jamais à fond.

L’étendard est quelque chose et l’usage qui en est fait est méritoire. Jeanne et son étendard ont leur place marquée au sacre de Reims. Mais sur quoi donc se fondent l’espérance, la valeur de Jeanne et l’action de l’étendard ? « Sur Notre-Seigneur et pas ailleurs, » répond la sage enfant.

Les dons naturels de l’esprit et du cœur sont un trésor magnifique. Ce sont eux qui assurent à l’homme la place éminente qu’il occupe dans la création. Mais ces dons viennent de Dieu. C’est Dieu aussi qui les conserve, et sans lui l’homme ne les ferait point valoir.

Sans Dieu l’homme ne peut travailler, et sans le travail tout demeure stérile.

Disons donc avec Jeanne : « De la victoire de l’étendard ou de Jeanne, c’était tout à Notre-Seigneur. »

O hommes, élevez-vous jusqu’à ces sages et salutaires pensées de la foi, pour vous grandir. L’orgueil abaisse, quoi qu’on en pense, l’humilité grandit.

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.

Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – 12ème et 13ème Paroles

Statue buste Jeanne d'Arc sacre à Reims par Epinay
Jehanne d’Arc au Sacre. Statue de P. d’Epinay (1901). Cathédrale de Reims.

Jehanne d’Arc au Sacre. Statue de P. d’Epinay (1901). Cathédrale de Reims.

XII

C’est un dicton dans mon pays que de dire : « Aide-toi, Dieu t’aidera. »

Quand Baudricourt prit congé de Jeanne, au moment où elle quittait Vaucouleurs pour aller rejoindre le Dauphin à Chinon, il lui adressa ce congé : « Va ! advienne que pourra ! »

C’était bien le digne propos de cet homme sceptique, ému pourtant par les discours de Jeanne et frappé de la force et de la constance de ses résolutions.

Ces discours l’avaient surpris par leur vigoureuse simplicité, lui, le retors accoutumé à ne parler guère que pour cacher plus victorieusement sa pensée.

La ligne directe dans les actes n’était pas de son goût. Jeanne allant droit devant elle, forte de la seule rectitude de ses intentions et de la justice de sa cause, l’avait mis d’abord en singulier embarras.

Puis il avait subi le prestige de cette étonnante enfant. Il n’osait plus ni nier l’autorité de sa mission ni multiplier plus longtemps les obstacles qui la pouvaient entraver. Il la laisse donc partir : « Va ! »

Mais l’avenir lui semble menaçant ou du moins incertain.

Devant cette incertitude et ces menaces, que peut valoir une âme simple, une nature élevée ? Peu de chose, pense-t-il.

Il ne voit donc en Jeanne rien qui lui soit un appui naturel. Et parce qu’il croit moins encore au secours de la grâce qu’à l’effort possible de la vertu, il prend ses gardes contre toute occurrence et dégage sa responsabilité en laissant à l’avenir toutes ses incertitudes, tous ses hasards : « Advienne que pourra ! »

— Ce sera toujours le fait de cette étrange et vaine philosophie qui s’appelle l’esprit du monde, et qui a résumé toutes les inintelligences et les illusions humaines, sinon en un code mis en règle, du moins en une jurisprudence qui n’a que trop de vogue parmi les hommes. Ce sera toujours bien le futile et décevant congé qu’il donnera à l’adolescent entrant dans la vie.

De cette vie le fardeau s’impose. Elle est une route ouverte devant laquelle nul ne se peut arrêter. Je ne sais quelle force irrésistible nous pousse, je ne sais quelle voix nous dit : Marche, marche.

Mais sur ce chemin qui nous soutiendra ? L’esprit du monde, qui souffle l’orgueil à l’homme, lui inspire plus fortement encore le découragement. Nul ne traite l’homme de plus haut, nul ne lui rappelle plus durement ses faiblesses que celui qui ne croit pas au secours de Dieu.

La foi, qui ne nous permet jamais d’oublier notre infirmité, ne nous permet pas davantage d’excéder en ce sentiment jusqu’à perdre courage. L’espérance chrétienne ne condamne pas moins le découragement que la présomption.

Elle enseigne à l’homme quelles forces admirables Dieu lui a données, lui rappelant seulement que la déchéance originelle a diminué ses forces, à tel point que sans la grâce de Dieu la vertu de l’homme ne peut aboutir, et que si la grâce ne fait pas tout en nous, sans nous, nous ne pouvons non plus rien faire sans elle.

C’est la doctrine que Jeanne traduisait en cette simple parole : « C’est un dicton dans mon pays que de dire : Aide-toi, Dieu t’aidera. »

La foi nous l’enseigne, mais la sagesse de l’homme, quand elle est digne de ce nom, nous l’apprend aussi.

XIII

Jeanne d'Arc hommes batailleront Deu donnera la victoire

« Jeanne, lui dit à Poitiers Guillaume Emeri, vous demandez des gens d’armes et dites que c’est le plaisir de Dieu que les anglais s’en aillent. Si cela est, il ne faut pas de gens d’armes, car le seul plaisir de Dieu peut les déconfire et les faire aller. — En nom Dieu, reprit Jeanne, les gens d’armes batailleront, et Dieu leur donnera la victoire. »

Non contente d’exposer le principe de l’intervention divine dans notre vie, Jeanne en explique encore, à sa façon, l’économie.

Son exposé n’est pas long, mais il est aussi clair que simple.

On lui allègue que les soldats sont inutiles puisque Dieu a promis la victoire.

C’est le langage de tant d’hommes qui, — à leur insu, — peu soucieux de l’exercice véritable de leur liberté aussi bien que du mérite que nous acquérons en en faisant bon usage, accepteraient volontiers que Dieu fit tout en nous sans nous. — « A quoi bon l’effort de la vertu pour moi, disent-ils, si Dieu m’accorde les grâces qui me sont nécessaires ? Dieu peut me sauver. S’il m’aime il doit le vouloir. S’il le veut, qu’a-t-il pour cela besoin de moi ? »

Et quel mérite aurez-vous à être sauvé si vous l’êtes sans vous ? En quoi vos efforts méritent-ils le nom d’efforts, en quoi votre vertu est-elle vertu, si vous êtes vertueux sans vous ? Insensé, quel prix aurait à vos yeux votre vie si elle était seulement l’œuvre de Dieu sans votre collaboration ?

Combien vous vous connaissez mal ! Ignorez-vous que l’homme n’aime que ce qu’il fait, n’apprécie que ce qui lui coûte, et se recherche lui-même en tout ce qui le passionne ?

Laissez l’homme « travailler », et Dieu « l’aider ». Que les soldats bataillent, Dieu leur donnera le triomphe. Ne demandez ni aux premiers de combattre sans Dieu, car ils n’y suffiraient pas, ni à Dieu de les faire vaincre sans eux, car leurs lauriers n’auraient nul prix.

Écoutez Jeanne et dites avec elle : « Les gens d’armes batailleront et Dieu leur donnera la victoire. »

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.

Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – 11ème Parole

Jeanne d'Arc reçoit la visite de Saint-Michel

Jeanne d’Arc à l’âge de 13 ans reçoit la visite de Saint-Michel.

XI

« Je vis Saint Michel et les anges des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois. Et quand ils s’éloignaient de moi, je pleurais et j’aurais bien voulue qu’ils m’eussent emporté avec eux. »

Jeanne ne fut jamais futile. Très ouverte de son caractère et gaie d’humeur, elle joignit toujours à l’épanouissement de son heureuse nature un penchant prononcé à l’esprit de réflexion. Aussi, quoiqu’elle soit morte à un âge où tant d’autres commencent à peine de vivre, on peut dire qu’elle a fait preuve pendant sa vie d’une rare sagesse.

Par le fait de cette sagesse même, elle jugeait les choses de la terre selon ce qu’elles valaient. De même que, suivant le témoignage qu’elle en rendit, elle « se donnait peu aux jeux et aux promenades » depuis l’appel de Dieu : aussi les joies du monde étaient es peu de chose à ses yeux.

C’est la pensée que lui inspirait, sans doute, cette parole : « Quand saint Michel et les anges s’éloignaient de moi, j’aurais bien voulu qu’ils m’eussent emportée avec eux. »

On comprend facilement qu’après ces entretiens mystérieux, dans lesquels ses voix lui apportaient « si grand réconfort », la pauvre enfant ne pouvait sans tristesse revenir à la réalité de la vie, quand surtout la vie avait pour elle des devoirs si austères.

— Les déboires ne font guère défaut à personne, quelle que soit la situation qu’on occupe. Il semble donc qu’au milieu d’une vie si éprouvée, beaucoup d’âmes devraient se tourner avec ardeur vers l’éternité et dire : « Combien je désire le ciel quand je vois la terre si méprisable ! »

Il n’en est rien cependant et l’on rencontre bien rarement des hommes impatients de posséder les joies éternelles.

L’ennui est le fond de la vie, comme l’ont dit justement Bossuet et Pascal, et malgré cet ennui, tous ou à peu près se cramponnent à ce bas-monde.

Combien de vieillards ne pleurent pas la jeunesse et ne font pas entendre ce vœu presque toujours ardent : « Que ne peut-on rajeunir ! »

Je veux bien que la terreur de la mort et de son appareil soit pour quelque chose dans ce sentiment. Mais il faut aussi mettre en ligne de compte l’indifférence profonde où nous laissent les choses surnaturelles et le bonheur d’en haut.

La sainte Écriture l’explique en deux mots bien pittoresques et bien profonds : « La fascination qu’exercent sur nous, dit-elle, les bagatelles d’ici-bas obscurcit à nos yeux les biens véritables ! »

Placé devant quelque monument de vastes dimensions, approchez de votre œil un grain de sable. Approchez encore, encore. Le monument disparaît, et l’atome placé près de vous cache l’immense qui est loin.

Ainsi les choses de la terre, parce qu’elles nous entourent et nous touchent, cachent les choses du ciel ; ainsi ce qui frappe les sens nous fait oublier ce qui s’adresse à l’âme. Ce qui se goûte, se touche, s’entend et se voit par le corps, nous frappe plus que les vérités les plus élevées et les principes les plus sublimes.

Voilà pourquoi les sages sont rares et les insensés fourmillent. Voilà ce qui fait que la multitude se sacrifie pour quelques arpents de terre ou quelques pièces d’argent, tandis que, dans un pays, on compte à peine quelques esprits qui s’adonnent à la recherche de la vérité pour sa propre beauté.

Voilà pourquoi enfin, quand l’Esprit-Saint, par les lèvres mêmes de Notre-Seigneur, nous parle du grand ennemi de Dieu ici-bas, il ne nomme ni le mensonge, ni la gloire, ni la volupté même, mais l’argent : « Personne ne peut servir à la fois Dieu et l’argent. »

Pauvres que nous sommes ! Toujours avides de bonheur, combien nous nous entendons mal à juger du bonheur ! Qui vaut ici-bas les joies sereines que la vérité donne ! Rien, non, rien, quoi que ce soit. Avec elle tout vaut, elle est le condiment nécessaire de tous les mets de l’âme : sans elle rien n’a de prix.

Que dire des joies du ciel ? Que penser de cette transformation, de cette glorification de tout notre être ? L’âme délivrée des liens de ce monde, libre et rapide, se perdant au sein de tout ce qui lui peut donner le bonheur !

L’esprit poursuivant, sans entraves, la vérité, et se perdant en elle comme en une onde vivifiante qui jaillit d’une source jamais tarie !

Le cœur libre en ses élans, aimant tout ce qu’il doit aimer sans abaissements, sans défaillances, toujours dévoué, jamais inconstant !

L’âme tout entière établie, affermie dans le bien !

Dieu à nous, nous à Dieu, sans crainte de séparation. Lui toujours mieux connu et plus aimé, nous toujours plus heureux de l’aimer et de le connaître. Comment, à ces pensées, ne pas trouver aride et froide la terre qu’on foule aux pieds ?

Comment, en ce beau rêve, ne pas battre des ailes et ne pas les ouvrir d’avance, impatients de monter, de monter bien haut, bien loin, pour planer toujours et ne jamais descendre ?

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.

Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – 9ème et 10ème Paroles

Image pieuse bienheureuse Jeanne d'Arc

Image pieuse Bienheureuse Jeanne d’Arc. 1909.

IX

« À Dieu ne plaise que je fasse ou aie fait œuvre qui charge mon âme. »

J’oserais dire que Jeanne est peintre. Elle excelle à dire les choses en un mot, et ce mot est si expressif qu’il devient comme une image exacte et pleine de coloris.

A ses yeux le péché « charge » l’âme. La pensée n’est pas nouvelle, assurément : on a cent et cent fois parlé du poids du péché et du fardeau de nos iniquités. Mais Jeanne le dit avec un tour de phrase si vif et si simple que l’image devient plus sensible et la comparaison plus frappante.

On voit aussi combien elle sentait fortement le prix de la paix de l’âme et la douceur de cette liberté d’un cœur dont les ailes sont légères. Beaucoup n’apprécient point le bienfait de cette paix et de cette liberté. Les sens seuls nous parlent, et voilà pourquoi pendant que les difformités corporelles nous font horreur, celle de l’âme ne nous touche guère. Il faudrait que nous tachions de nous élever jusqu’à l’intelligence de cette chose, admirable plus que tout ce que l’on admire et qui s’appelle une belle âme.

On peut commencer de la comprendre en voyant quel reflet suave et beau l’âme met sur la physionomie de l’homme de bien, du sage et du penseur. Quel charme ne jettent pas sur le front d’un homme une pensée élevée, un beau sentiment ! Or, dit Platon, c’est l’âme qui façonne ainsi les traits, corpus informat anima. Quelle beauté doit être la sienne, quand le pâle reflet qui s’en échappe est déjà si touchant !Une mère devrait s’appliquer à développer en elle ce culte de la beauté des âmes. Elle en estimerait à plus haut prix l’éducation puisque c’est par elle, suivant qu’elle est bonne ou mauvaise, que l’âme d’un enfant s’embellit ou devient laide.

Ah ! si les mères y songeaient davantage ! Si, le regard attaché sur l’idéal d’une âme absolument belle, elles s’appliquaient, dans une touche délicate, à façonner celle de leur enfant conformément à ce modèle, quelles œuvres admirables elles nous offriraient ! Heureuses les femmes Chrétiennes, heureuses sont-elles mille fois à l’envi de celles qui ne croient pas ! Notre maître Jésus-Christ a placé sous leurs yeux ce modèle parfait, cet idéal achevé de l’homme à tous les âges. Elles n’ont qu’à le regarder pour le voir. Et quand leurs mains aimantes et bénies essayent de pétrir,comme une copie fidèle et conformément à ce modèle, les âmes que Dieu leur a confiées, la religion leur assure mille ressources admirables qui rendent moins aride et plus féconde par elles cette tâche dont on a si bien dit qu’elle est « l’art des arts » : L’art des arts, c’est de régir les âmes (Gerson).

Statue de Jeanne d'Arc par Jules Déchin

Jeanne d’Arc par Jules Déchin.

X

« Je ne crois pas qu’on ne peut trop nettoyer sa conscience. »

Jeanne n’était pas scrupuleuse. Son esprit net et ferme ne se prêtait point à ce mal dont quelques âmes faibles ou éprouvées par la permission de Dieu souffrent parfois si grand dommage. Mais elle avait ce dont le scrupule est l’excès, à savoir une délicatesse parfaite de conscience.

Toujours pratique et concluante dans ses convictions comme dans les sentiments mêmes de son cœur, elle ne s’en remettait pas à elle-même du soin de juger la netteté de son âme, et il est visible que quand elle parle de « nettoyer sa conscience », sa pensée se porte vers le sacrement que la religion nous offre à cet effet. — La confession ne sera jamais faite pour procurer l’agrément de ceux qui en usent. La nature même de cette institution explique, — sans les justifier, — les attaques dont elle a toujours été l’objet. Ces attaques,si naturelles qu’elles soient, n’en atténuent pas la haute sagesse et la parfaite utilité.

Il suffit d’avoir étudié l’homme quelque temps, pour comprendre combien il lui est malaisé de se connaître lui-même et de se juger sainement. L’aveu en est devenu proverbial et tous reconnaissent que nous sommes mauvais juges en notre propre cause. — « Le roi est la fable de l’Europe, dit Pascal, lui seul n’en sait rien. » Quel progrès aura été réalisé le jour où les rois seuls seront sujets à cette ignorance ! En attendant, c’est un mal qui nous travaille tous, et quoique Bossuet ait pu dire que «la science la plus nécessaire à la vie humaine, c’est de se connaître soi-même », et que saint Augustin ait dit avant lui « qu’il vaut mieux savoir ses défauts que de pénétrer tous les secrets des États ou des Empires, et de savoir démêler toutes les énigmes de la nature », il n’en demeure pas moins que bien peu d’hommes se font d’eux mêmes une idée juste.

La confession n’eût-elle pour fruit que de nous soumettre au jugement d’un homme qui nous connaît, qu’elle mériterait notre estime. Elle est la meilleure garantie de la pureté de la conscience et la garde la plus assurée contre l’illusion. Une mère se montrera donc sage en habituant son enfant à recourir au bienfait de ce sacrement, non pas seulement pour obéir à la loi de l’Église, mais pour y chercher encore cette lumière intérieure qui nous fait nous connaître.

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.

Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – 7ème et 8ème Paroles

Sainte Jeanne d'Arc avec armure et étendard

Sainte Jeanne d’Arc priez pour nous et sauvez la France.

VII

« Je n’ai demandé à mes voix d’autre récompense finale que le Salut de mon âme. »

Il y avait longtemps que Jeanne pensait ainsi. Au milieu de toutes ses épreuves, soit dans la paix, soit dans la guerre, sauver son âme était son but dernier.

En ces temps, les pensées d’en haut avaient dans les esprits une place qui a beaucoup diminué. Dans toutes les classes de la société, les enseignements de la Foi exerçaient sur les âmes une influence maîtresse. Elles étaient l’essence même des convictions, le dernier mot des principes, et si, dans le détail, on s’écartait trop souvent des règles de la morale chrétienne, encore est-il que la vie de tous offrait un caractère général de christianisme.

Souvent, dans la manière dont les fautes étaient commises, on trouvait je ne sais quelles réserves qui montrent bien que ceux qui les commettaient ne se soustrayaient pas entièrement à l’influence des idées religieuses.

Au moins le remords venait-il bientôt établir que, si les passions avaient un instant entraîné le cœur, une fois le calme revenu la religion reprenait en partie ses droits. Elle rentrait dans l’âme, comme un maître momentanément dépossédé rentre en son domaine par la force même du droit et des coutumes.

— Nous n’en sommes plus là. Nul esprit impartial et réfléchi ne sera tenté de s’en réjouir. Il est visible qu’une société ne peut que perdre beaucoup à cette diminution de la vivacité des croyances en ceux qui la composent.

Le jour où les hommes, oubliant leur destinée immortelle, ne s’attachent alors qu’aux choses du temps et ne travail lent plus que pour acquérir ce qui passe au lieu de ce qui demeure, les caractères s’affaiblissent : c’est qu’ils ont perdu un de leurs plus solides sou- tiens. La vie se rétrécit dans la mesure où diminue le but même qui l’inspire et l’anime.

— Une mère de famille doit veiller à ne laisser point s’éteindre dans l’âme de ses enfants le flambeau de la vie présente, cette lumière qui vient d’en haut et jette sur notre existence d’ici-bas un jour si fort et si salutaire. Beaucoup de mères n’ont plus la sage pensée d’agir ainsi. Les grandes vérités, les mots d’éternité et de salut de l’âme ont à leurs yeux je ne sais quelle tristesse importune. Elles tâchent de n’y songer jamais et jugent inopportun d’y faire penser leurs enfants. Quelle force cependant elles leur assureraient et quelles garanties contre l’avenir, en leur inculquant profondément ne fût-ce que ce seul principe, cette seule parole de Jeanne d’Arc : « Je n’ai demandé d’autre récompense finale que le salut de mon âme ! »

Statue de Jeanne d'Arc par Vézien ossuaire de Douaumont

Jeanne d’Arc par Élie-Jean Vézien, Ossuaire de Douaumont (Meuse).

VIII

« Savez-vous être en la grâce de Dieu ? », lui demanda un de ses juges. — « Si je n’y suis, Dieu m’y mette ; si j’y suis Dieu m’y garde. Je serais la plus dolente [malheureuse] du monde si je savais ne pas être en la grâce de Dieu. »

Le souci élevé du salut de son âme produisait naturellement en Jeanne une exquise délicatesse de conscience. Aussi ses juges ne purent, par ce côté, hasarder contre elle la moindre accusation.

Leur perversité toutefois tenta de la surprendre en ses paroles en se faisant contre elle une arme de son innocence même.

— « Savez-vous être en la grâce de Dieu ? » lui demandent-ils. — Le piège était habilement dressé. Si Jeanne répond qu’elle se sait en la grâce de Dieu, on l’accusera de présomption. Si son humilité lui fait déclarer le contraire, elle s’avoue coupable et justifie d’avance les accusations dont on l’accable.

Jeanne fit preuve, en la circonstance, de cette vivacité d’esprit qu’elle possédait à un si haut degré et qui tant de fois mit en déroute les ruses de ses ennemis. — « Si je n’y suis, Dieu m’y mette ; si j’y suis, Dieu m’y garde ! » — C’était remettre sa cause et son jugement entre les mains de Celui qui seul est « le juste Juge ».

Puis elle ajoute ce touchant propos : « Je serais la plus dolente du monde, si je savais ne pas être en la grâce de Dieu. » — « Je serais la plus dolente du monde. » Jeanne a toujours un tour de phrase à elle propre ; et elle dit à sa seule manière ce qui est dans l’esprit de beaucoup d’autres.

« Je serais la plus dolente, » expression touchante de la délicatesse de cette conscience angélique. Quand la vue du bûcher lui fera peur, elle dira la grande douleur qu’elle ressent des « torts et engravances qu’on lui fait ». Mais avec cela, ce qui lui ferait le plus grand mal et la rendrait « la plus dolente du monde », ce serait d’avoir offensé Dieu.

Heureuse la jeune fille qui s’inspire des mêmes sentiments ; heureuses les familles, heureuses les sociétés où les âmes subissent encore le charme mystérieux de la beauté d’une âme pure et s’attristent de tristesse grande, et sont « dolentes » plus que de toute chose de ne se point sentir « en la grâce de Dieu » !

Rien ne vaut cela pour le bien et la dignité de la vie, rien n’y supplée. En vain ceux qui conduisent les hommes demandent-ils aux lois l’efficace répression des crimes : ils n’ont fait que bien peu de chose, si les cœurs ne sont atteints par le regard de Dieu même, auquel rien n’échappe.

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.