Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – 7ème et 8ème Paroles

Sainte Jeanne d'Arc avec armure et étendard

Sainte Jeanne d’Arc priez pour nous et sauvez la France.

VII

« Je n’ai demandé à mes voix d’autre récompense finale que le Salut de mon âme. »

Il y avait longtemps que Jeanne pensait ainsi. Au milieu de toutes ses épreuves, soit dans la paix, soit dans la guerre, sauver son âme était son but dernier.

En ces temps, les pensées d’en haut avaient dans les esprits une place qui a beaucoup diminué. Dans toutes les classes de la société, les enseignements de la Foi exerçaient sur les âmes une influence maîtresse. Elles étaient l’essence même des convictions, le dernier mot des principes, et si, dans le détail, on s’écartait trop souvent des règles de la morale chrétienne, encore est-il que la vie de tous offrait un caractère général de christianisme.

Souvent, dans la manière dont les fautes étaient commises, on trouvait je ne sais quelles réserves qui montrent bien que ceux qui les commettaient ne se soustrayaient pas entièrement à l’influence des idées religieuses.

Au moins le remords venait-il bientôt établir que, si les passions avaient un instant entraîné le cœur, une fois le calme revenu la religion reprenait en partie ses droits. Elle rentrait dans l’âme, comme un maître momentanément dépossédé rentre en son domaine par la force même du droit et des coutumes.

— Nous n’en sommes plus là. Nul esprit impartial et réfléchi ne sera tenté de s’en réjouir. Il est visible qu’une société ne peut que perdre beaucoup à cette diminution de la vivacité des croyances en ceux qui la composent.

Le jour où les hommes, oubliant leur destinée immortelle, ne s’attachent alors qu’aux choses du temps et ne travail lent plus que pour acquérir ce qui passe au lieu de ce qui demeure, les caractères s’affaiblissent : c’est qu’ils ont perdu un de leurs plus solides sou- tiens. La vie se rétrécit dans la mesure où diminue le but même qui l’inspire et l’anime.

— Une mère de famille doit veiller à ne laisser point s’éteindre dans l’âme de ses enfants le flambeau de la vie présente, cette lumière qui vient d’en haut et jette sur notre existence d’ici-bas un jour si fort et si salutaire. Beaucoup de mères n’ont plus la sage pensée d’agir ainsi. Les grandes vérités, les mots d’éternité et de salut de l’âme ont à leurs yeux je ne sais quelle tristesse importune. Elles tâchent de n’y songer jamais et jugent inopportun d’y faire penser leurs enfants. Quelle force cependant elles leur assureraient et quelles garanties contre l’avenir, en leur inculquant profondément ne fût-ce que ce seul principe, cette seule parole de Jeanne d’Arc : « Je n’ai demandé d’autre récompense finale que le salut de mon âme ! »

Statue de Jeanne d'Arc par Vézien ossuaire de Douaumont

Jeanne d’Arc par Élie-Jean Vézien, Ossuaire de Douaumont (Meuse).

VIII

« Savez-vous être en la grâce de Dieu ? », lui demanda un de ses juges. — « Si je n’y suis, Dieu m’y mette ; si j’y suis Dieu m’y garde. Je serais la plus dolente [malheureuse] du monde si je savais ne pas être en la grâce de Dieu. »

Le souci élevé du salut de son âme produisait naturellement en Jeanne une exquise délicatesse de conscience. Aussi ses juges ne purent, par ce côté, hasarder contre elle la moindre accusation.

Leur perversité toutefois tenta de la surprendre en ses paroles en se faisant contre elle une arme de son innocence même.

— « Savez-vous être en la grâce de Dieu ? » lui demandent-ils. — Le piège était habilement dressé. Si Jeanne répond qu’elle se sait en la grâce de Dieu, on l’accusera de présomption. Si son humilité lui fait déclarer le contraire, elle s’avoue coupable et justifie d’avance les accusations dont on l’accable.

Jeanne fit preuve, en la circonstance, de cette vivacité d’esprit qu’elle possédait à un si haut degré et qui tant de fois mit en déroute les ruses de ses ennemis. — « Si je n’y suis, Dieu m’y mette ; si j’y suis, Dieu m’y garde ! » — C’était remettre sa cause et son jugement entre les mains de Celui qui seul est « le juste Juge ».

Puis elle ajoute ce touchant propos : « Je serais la plus dolente du monde, si je savais ne pas être en la grâce de Dieu. » — « Je serais la plus dolente du monde. » Jeanne a toujours un tour de phrase à elle propre ; et elle dit à sa seule manière ce qui est dans l’esprit de beaucoup d’autres.

« Je serais la plus dolente, » expression touchante de la délicatesse de cette conscience angélique. Quand la vue du bûcher lui fera peur, elle dira la grande douleur qu’elle ressent des « torts et engravances qu’on lui fait ». Mais avec cela, ce qui lui ferait le plus grand mal et la rendrait « la plus dolente du monde », ce serait d’avoir offensé Dieu.

Heureuse la jeune fille qui s’inspire des mêmes sentiments ; heureuses les familles, heureuses les sociétés où les âmes subissent encore le charme mystérieux de la beauté d’une âme pure et s’attristent de tristesse grande, et sont « dolentes » plus que de toute chose de ne se point sentir « en la grâce de Dieu » !

Rien ne vaut cela pour le bien et la dignité de la vie, rien n’y supplée. En vain ceux qui conduisent les hommes demandent-ils aux lois l’efficace répression des crimes : ils n’ont fait que bien peu de chose, si les cœurs ne sont atteints par le regard de Dieu même, auquel rien n’échappe.

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.