Jeanne d’Arc, Modèle de Piété

Tableau Jeanne d'Arc en prière dans une église par Flandrin
« Jeanne d’Arc en prière » par Paul Hippolyte Flandrin (1856-1921).

Dieu qui aime les humbles et les petits se révéla de bonne heure à la fillette de Jacques d’Arc. Sa mère, en lui apprenant à former le signe de la croix, lui fit assez entendre le mystère de pardon et de salut qu’il rappelait, pour que ce cœur d’enfant s’ouvrît à des sentiments de foi et de reconnaissance. Les instructions familières et les exhortations du curé de Domremy y firent bientôt éclore des sentiments d’amour divin, et ce foyer une fois allumé ne fit que grandir et s’étendre. De là cette dévotion ardente et confiante tout ensemble de Jeannette pour Jésus-Christ, qu’elle se plaisait à appeler Messire, « mon Seigneur » ; de là sa fidélité à toutes les pratiques et à tous les exercices propres à éclairer, à fortifier et à développer cette dévotion ; de là son empressement à fréquenter l’église où son Sauveur et son Dieu résidait sacramentellement. Les jeunes filles de son âge remarquaient « qu’elle y allait volontiers et souvent. On ne la voyait pas par les chemins, mais à l’église où elle restait et priait ».

Diverses représentations de Jeanne d’Arc en prière à Domremy.

C’était pourtant un édifice bien modeste que la petite église de Domremy : elle n’avait rien de ce qui sollicite la curiosité et attire les regards ; mais Jeanne y avait reçu le saint baptême ; elle y avait été consacrée à la bienheureuse Vierge Marie, elle y priait avec plus de douceur qu’en tout autre lieu, s’y sentait plus près du Maître qu’elle aimait, et comme la maison de ses parents était tout proche de la maison de Dieu, la jeune enfant, n’ayant qu’à traverser le jardin paternel pour s’y rendre, profitait de cette facilité et venait offrir au Seigneur en son sanctuaire ses prières naïves et ses adorations.

Six vues extérieures et intérieures de l’église actuelle de Domremy et deux représentations à l’époque de Jeanne d’Arc.

Dès qu’elle eut atteint l’âge de raison. Jeannette se forma, sous la direction de son curé, à ces pieuses et fortes habitudes, à ces saintes pratiques sans lesquelles il ne saurait y avoir de vie profondément chrétienne, la confession, l’assistance au sacrifice de la messe, la sainte communion. A partir de sa septième année, elle se confessait volontiers et souvent : un de ses compagnons de jeunesse en faisait la remarque ; mais en avançant en âge, elle mit à le faire plus de régularité. Vingt-neuf de ses compatriotes rendent d’elle ce témoignage dans l’enquête de la réhabilitation. La pieuse jeune fille comprit promptement l’utilité de la confession fréquente, pour en arriver à remplir exactement tous ses devoirs, à discerner et pratiquer les vertus qui sont l’honneur de son sexe. C’était, disait-elle, le moyen que lui recommandaient ses Saintes ; car « elles-mêmes prenaient le soin de la faire se confesser de temps en temps ».

A Rouen, les juges demandaient à Jeanne d’Arc si elle voulait s’en rapporter à eux pour la détermination et l’appréciation de certains actes qu’ils lui attribuaient faussement.

Jeanne leur répondait : « Je m’en rapporte à Dieu et à une bonne confession. »

Ils lui demandaient encore si elle pensait avoir besoin de se confesser, puisqu’elle se croyait certaine d’être sauvée. Jeanne répliquait : « On ne saurait trop nettoyer sa conscience. »

Statues représentant Jeanne d’Arc en prière.

L’assistance au saint sacrifice et la sainte communion n’étaient pas moins chères à son cœur. A la messe, Jeannette y assistait aussi souvent qu’il lui était possible. Se trouvait-elle aux champs lorsque la cloche la sonnait, elle quittait le travail, s’il n’y avait pas d’empêchement, et accourait au pied de l’autel.

Détail qui met bien en lumière la gratitude de la jeune enfant pour son excellent curé, en même temps que sa dévotion pour le sacrifice de nos autels, toutes les fois que messire Front pouvait célébrer dans l’église de Domremy, Jeannette était là pour entendre sa messe.

Si bien que le bon curé s’en était aperçu et avait fait part de cette observation à un ecclésiastique de ses amis. Celui-ci ajoutait que si la fille de Jacques d’Arc avait eu de l’argent, elle l’aurait donné volontiers à son curé pour dire des messes. Sans doute que la pieuse enfant exprima plus d’une fois le regret de n’être pas plus fortunée, et de ne pouvoir, faute d’argent, suivre les inspirations et les désirs de son cœur.

Jeanne d’Arc en prière à la Chapelle des Voûtes de Vaucouleurs.

Puisque nous parlons de l’attachement que Jeannette portait à son pasteur, en reconnaissance des bontés et des soins dont elle était l’objet de sa part, rappelons cet autre détail : elle avait en lui une confiance si entière, et elle tenait tant à ne lui faire aucune sorte de peine, que, s’il était empêché, elle ne se confessait à un autre prêtre qu’après lui en avoir demandé et en avoir obtenu la permission.

Lorsque l’église de Domremy et une partie du village eurent été incendiés par des coureurs bourguignons. Jeannette resta quelque temps privée de ces consolations religieuses. Il lui fallut renoncer à entendre la messe de son curé à Domremy même. Elle se dédommageait en allant, les jours de dimanche et de fête, l’entendre en l’église de Greux.

La dévotion de la petite Jeanne au saint sacrifice de la messe avait comme complément un empressement égal à visiter notre divin Sauveur dans le sacrement de l’autel et à recevoir, aussi souvent que son confesseur le lui permettait, la sainte communion. Tandis que ses compagnes se divertissaient à des rondes ou autres jeux, la pieuse enfant mettait sa joie à se rendre et à prier au pied du tabernacle. Elle éprouvait une douceur infinie à l’adorer du plus profond de son âme et à s’abandonner sans réserve à sa volonté.

Et si elle mettait une sainte avidité à s’asseoir à la table eucharistique, à s’y nourrir du pain des anges, c’est que, au sortir de ce festin, elle se sentait plus ardente au bien, plus imprégnée de pureté, plus allégée de dévouement.

La première communion de Jeanne d’Arc.

Ces habitudes religieuses, Jeanne d’Arc les entretint si bien pendant son adolescence, qu’elle y demeura fidèle toute sa vie et les porta jusqu’au milieu des camps. « Je l’ai vue plusieurs fois, disait l’un des deux gentilshommes qui l’accompagnèrent à Chinon ; je l’ai vue soit à Vaucouleurs, soit à la guerre, se confesser — ce qu’elle a eu fait jusqu’à deux fois par semaine — et recevoir l’Eucharistie. »

A Orléans, le matin de l’assaut des Tourelles, « a elle ouyt messe, se confessa et reçeut en moult grande dévotion le précieux, corps de Jésus-Christ ».

Jeanne d’Arc communiant avant la bataille.

En campagne, le chapelain de la Pucelle, frère Pasquerel, lui « chantera » chaque jour la messe : ce sera pour Jeanne comme un ressouvenir de son cher Domremy. Avant de courir sus aux Anglais, elle se munira de la sainte communion. Un chevalier racontera l’avoir vue, à Senlis, communier deux jours de suite en noble et haute compagnie, avec deux princes de sang- royal, le comte de Glermont et le duc d’Alençon.

« Quand elle allait par le païs, et venait aux bonnes villes, elle ne manquait pas de recevoir les sacrements de confession et de l’autel. »

Jeanne d’Arc communie à Compiègne.

L’une des privations dont la Pucelle souffrit le plus, pendant sa captivité de Rouen, fut de ne pouvoir entendre la messe. Dès la première séance du procès, elle avait requis de ses juges qu’ils lui en accordassent la permission ; plusieurs fois, durant le cours des interrogatoires, elle réitéra sa requête, souvent dans les termes les plus touchants. Jamais l’évêque de Beauvais ne voulut y consentir. Il permit qu’on lui portât la sainte communion le matin de son supplice ; mais aucun des nombreux témoignages recueillis sur les incidents de cette journée ne donne à entendre que le saint sacrifice ait été célébré, même ce jour-là, en présence de l’infortunée jeune fille, et qu’elle y ait assisté.

Ne pouvant amener ses juges à lui permettre d’entendre la messe et communier, la captive obtint quelque temps, du prêtre qui la conduisait de la prison à l’audience, un dédommagement inespéré. Moins impitoyable que le tribunal, Jean Massieu permit à Jeanne de s’arrêter dans la chapelle du château et d’y adorer, au pied du tabernacle, le Sauveur qu’elle ne pouvait recevoir sacramentellement. Un jour, cependant, la porte de la chapelle ne s’ouvrit pas : le promoteur d’Estivet avait remarqué la condescendance de Massieu et la lui avait brutalement reprochée. Massieu n’osant plus s’arrêter, la prisonnière, qui ne savait pas pourquoi, lui demandait, devant la porte de la chapelle : « Est-ce que le corps de Jésus-Christ n’y est pas ? »

Et quelle foi ardente, quelle énergie de conviction, quelle tendresse d’âme Jeanne apportait dans ses actes de religion et de piété ! « Toutes les fois qu’elle se confessait, elle fondait en larmes », rapportait son aumônier, l’excellent frère Pasquerel. Au témoignage du duc d’Alençon, « elle ne pouvait voir le corps du Sauveur sans être profondément émue et sans répandre des larmes abondantes ».

A Orléans, un chanoine de l’église Saint-Aignan, Pierre Compaing, la vit, lui aussi, « au moment de l’élévation, pleurer à chaudes larmes ».

Jeanne d’Arc communiant avant son martyre.

La petite église de Domremy fut certainement, plus d’une fois, témoin de ces pleurs que faisait jaillir des paupières de la jeune fille la confession de ses fautes et la vue de l’hostie consacrée. Ce n’est point dans le cours de ses faits de guerre et sous l’influence du milieu qu’elle y rencontrait que la Pucelle en était venue à ce degré de sensibilité religieuse ; un pareil état d’âme tenait à des habitudes datant de plus loin. Si le vénérable curé de Domremy, messire Guillaume Front, avait pu comparaître devant la Commission pontificale de 1456, il eût vraisemblablement déclaré avoir vu couler les larmes de sa jeune paroissienne dans les mêmes circonstances et aussi souvent que frère Pasquerel et le duc d’Alençon.

Extrait de : Histoire Complète de la Bienheureuse Jeanne D’Arc, Nouvelle Édition, Tome 1, par Philippe-Hector Dunand. 1912.

La maison natale de Jeanne d’Arc et l’église de Domremy après la seconde guerre mondiale (images noir et blanc) et des vues prises en décembre 2020.