Sacré-Cœur de Jésus, Espoir et Salut de la France et du Monde. Détail d’une carte postale, époque première guerre mondiale.
De tout temps l’humanité a vu cette source à travers la plaie du côté de Notre-Seigneur. De tout temps elle a prononcé avec un respect attendri le nom du Cœur de Jésus, par les lèvres des Pères, des docteurs, des saints et des saintes. Mais jamais, jusqu’à ces derniers siècles, elle n’avait fait de ce Cœur l’objet d’une dévotion spéciale et populaire. C’est de nos jours seulement qu’il a plu à Notre-Seigneur d’ouvrir plus largement ce havre de grâce et de miséricorde à l’humanité qui fuit sous la tourmente, et de lui dire : « Voilà désormais pour toi le port de salut. »
S’il nous plaît de rechercher les raisons de cette révélation tardive, nous pouvons en assigner deux qui montrent une affinité spéciale entre le Cœur de Jésus et l’âme contemporaine : l’une regarde l’intelligence de l’homme et l’autre son cœur.
Ce siècle est raisonneur et incrédule. Dès lors, ne semble-t-il pas que Dieu devrait justifier la foi qu’il réclame par des arguments victorieux et se présenter aux esprits de notre temps comme la Raison suprême, la Sagesse infinie ? Sans doute il faut offrir la lumière aux égarés, et c’est ce que fait l’Église infatigablement : mais l’offrir n’est pas tout, l’essentiel et le plus difficile est de la faire accepter. Or, c’est ici que Dieu montre combien il connaît cette pauvre intelligence humaine qu’Il a créée, et les voies les plus courtes pour la ramener à Lui. En réalité, le plus souvent c’est le cœur qui est malade et qui fait mal à la tête, c’est le cœur enorgueilli ou sensuel qui repousse une lumière gênante pour ses passions. Parlez à la seule raison : elle se révolte. Parlez au cœur, mais avec le langage du cœur ; montrez-lui un immense amour : oh ! alors, il est touché, il est vaincu, il se rend et il entraîne dans sa bienheureuse défaite la raison elle-même : il l’entraîne, non pas à l’aveugle, non pas dans la nuit, mais dans la lumière dont elle avait peur, et, là, il la décide à ouvrir les yeux et à reconnaître la vérité.
Ainsi, messieurs, l’amour est le grand introducteur des âmes au domaine de la foi. C’était bien la pensée de l’illustre fondateur des Passionnistes, saint Paul de la Croix, lorsqu’il disait : « Le sophisme a tellement perverti l’intelligence, qu’il faut désormais s’adresser au cœur de l’homme. » Et c’est par ce moyen que, au témoignage de Bossuet, Dieu ramena à la foi Anne de Gonzague. Cette grande convertie disait : « Depuis qu’il a plu à Dieu de me mettre dans le cœur que son amour est la cause de tout ce que nous croyons, cette réponse me persuade plus que tous les livres. »
Un Dieu qui ne serait que Raison et Géométrie, quelque chose comme le froid Axiome éternel dont parlait un philosophe de notre temps, se heurterait sans succès à notre orgueil. Mais dès que Dieu se montre à ce siècle ombrageux avec son Cœur, dès qu’il peut lui dire : « Mets ta main dans mon côté, touche cette plaie reçue pour ton amour », le vieil incrédule fond en larmes, tombe à genoux, et, comme saint Thomas, s’écrie : Quæ est ista religio ? Qu’est-ce que cette fête ? Je vous le disais en commençant, ce n’est pas seulement l’écho des grandes supplications que l’univers jetait vers le ciel il y a huit jours. C’est une fête plus intime, une manifestation de foi nationale, pleine pour nous d’une immense espérance, et qui contribuera grandement au salut de notre pays.
La première raison qui doit nous inspirer cette confiance dans le Cœur de Jésus, c’est l’amour particulier qu’Il nous a montré. De même que Notre-Seigneur a eu un ami de cœur, un favori parmi ses apôtres, Il a voulu avoir un favori parmi les peuples. De même que saint Jean a pu, sans faire tort à ses frères, s’appeler le disciple que Jésus aimait, la France peut, sans faire injure aux autres nations, se dire la nation que Jésus a aimée.
Cette prédilection divine éclate dès l’origine de notre histoire. Le Christ veille sur le berceau de son peuple chéri. Il en écarte les Huns avec la houlette de sainte Geneviève et les crosses de saint Aignan et de saint Loup. Il lui dit son amour par la voix enchanteresse des victoires. Aussi les Francs, émus et charmés, se donnent-ils au Christ avec toute l’ardeur de leur jeunesse. Désormais il sera leur capitaine et leur roi et ils seront ses soldats. C’est un pacte solennel conclu entre le Cœur du Christ et le cœur de la France, garanti par leur mutuel amour, et exprimé par ce cri célèbre : « Vive le Christ qui aime les Francs ! »
Ah ! ce cri, comme il retentissait joyeux au retour de Tolbiac, et que de fois depuis il a rythmé la marche glorieuse de la France dans l’histoire ! Il retentissait à Vouillé sur les cadavres des Visigoths ariens. Il retentissait à Poitiers sur les cadavres des musulmans. Il retentissait sous les murs de Rome sur les cadavres des Lombards, oppresseurs de la papauté. Il retentissait à Clermont, à Vézelay, à l’aurore des grandes croisades. « Vive le Christ qui aime les Francs ! » Vous l’avez entendu, flots de la mer qui portiez nos vaisseaux aux rives de la Terre Sainte. Vous l’avez entendu, ô pays lointains, ô plaines de l’Égypte ; ô champs de la Palestine, ô murs de Jérusalem et de Constantinople. C’était la France qui chantait sous tous les cieux l’amour de Jésus-Christ pour ses fils, et qui écrivait sur tous les rivages, avec son sang, l’amour de ses fils pour Jésus-Christ. Aussi lorsque, après ses grandes expéditions, elle venait se reposer au pied du tabernacle dans les belles cathédrales qu’elle avait données au Christ, n’était-ce pas comme le repos du disciple bien-aimé sur la poitrine de son Maître, et Jésus n’aurait-il pas eu le droit de lui dire : « Voici ce Cœur qui a tant aimé la France » ?
Extrait de : Le Sacré-Cœur, Salut du Monde et de la France, Discours Prononcé le 18 Juin 1899 en la Basilique de Montmartre par le Chanoine Stéphen Coubé (S.J.).