Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez – 12ème et 13ème Paroles

Statue buste Jeanne d'Arc sacre à Reims par Epinay
Jehanne d’Arc au Sacre. Statue de P. d’Epinay (1901). Cathédrale de Reims.

Jehanne d’Arc au Sacre. Statue de P. d’Epinay (1901). Cathédrale de Reims.

XII

C’est un dicton dans mon pays que de dire : « Aide-toi, Dieu t’aidera. »

Quand Baudricourt prit congé de Jeanne, au moment où elle quittait Vaucouleurs pour aller rejoindre le Dauphin à Chinon, il lui adressa ce congé : « Va ! advienne que pourra ! »

C’était bien le digne propos de cet homme sceptique, ému pourtant par les discours de Jeanne et frappé de la force et de la constance de ses résolutions.

Ces discours l’avaient surpris par leur vigoureuse simplicité, lui, le retors accoutumé à ne parler guère que pour cacher plus victorieusement sa pensée.

La ligne directe dans les actes n’était pas de son goût. Jeanne allant droit devant elle, forte de la seule rectitude de ses intentions et de la justice de sa cause, l’avait mis d’abord en singulier embarras.

Puis il avait subi le prestige de cette étonnante enfant. Il n’osait plus ni nier l’autorité de sa mission ni multiplier plus longtemps les obstacles qui la pouvaient entraver. Il la laisse donc partir : « Va ! »

Mais l’avenir lui semble menaçant ou du moins incertain.

Devant cette incertitude et ces menaces, que peut valoir une âme simple, une nature élevée ? Peu de chose, pense-t-il.

Il ne voit donc en Jeanne rien qui lui soit un appui naturel. Et parce qu’il croit moins encore au secours de la grâce qu’à l’effort possible de la vertu, il prend ses gardes contre toute occurrence et dégage sa responsabilité en laissant à l’avenir toutes ses incertitudes, tous ses hasards : « Advienne que pourra ! »

— Ce sera toujours le fait de cette étrange et vaine philosophie qui s’appelle l’esprit du monde, et qui a résumé toutes les inintelligences et les illusions humaines, sinon en un code mis en règle, du moins en une jurisprudence qui n’a que trop de vogue parmi les hommes. Ce sera toujours bien le futile et décevant congé qu’il donnera à l’adolescent entrant dans la vie.

De cette vie le fardeau s’impose. Elle est une route ouverte devant laquelle nul ne se peut arrêter. Je ne sais quelle force irrésistible nous pousse, je ne sais quelle voix nous dit : Marche, marche.

Mais sur ce chemin qui nous soutiendra ? L’esprit du monde, qui souffle l’orgueil à l’homme, lui inspire plus fortement encore le découragement. Nul ne traite l’homme de plus haut, nul ne lui rappelle plus durement ses faiblesses que celui qui ne croit pas au secours de Dieu.

La foi, qui ne nous permet jamais d’oublier notre infirmité, ne nous permet pas davantage d’excéder en ce sentiment jusqu’à perdre courage. L’espérance chrétienne ne condamne pas moins le découragement que la présomption.

Elle enseigne à l’homme quelles forces admirables Dieu lui a données, lui rappelant seulement que la déchéance originelle a diminué ses forces, à tel point que sans la grâce de Dieu la vertu de l’homme ne peut aboutir, et que si la grâce ne fait pas tout en nous, sans nous, nous ne pouvons non plus rien faire sans elle.

C’est la doctrine que Jeanne traduisait en cette simple parole : « C’est un dicton dans mon pays que de dire : Aide-toi, Dieu t’aidera. »

La foi nous l’enseigne, mais la sagesse de l’homme, quand elle est digne de ce nom, nous l’apprend aussi.

XIII

Jeanne d'Arc hommes batailleront Deu donnera la victoire

« Jeanne, lui dit à Poitiers Guillaume Emeri, vous demandez des gens d’armes et dites que c’est le plaisir de Dieu que les anglais s’en aillent. Si cela est, il ne faut pas de gens d’armes, car le seul plaisir de Dieu peut les déconfire et les faire aller. — En nom Dieu, reprit Jeanne, les gens d’armes batailleront, et Dieu leur donnera la victoire. »

Non contente d’exposer le principe de l’intervention divine dans notre vie, Jeanne en explique encore, à sa façon, l’économie.

Son exposé n’est pas long, mais il est aussi clair que simple.

On lui allègue que les soldats sont inutiles puisque Dieu a promis la victoire.

C’est le langage de tant d’hommes qui, — à leur insu, — peu soucieux de l’exercice véritable de leur liberté aussi bien que du mérite que nous acquérons en en faisant bon usage, accepteraient volontiers que Dieu fit tout en nous sans nous. — « A quoi bon l’effort de la vertu pour moi, disent-ils, si Dieu m’accorde les grâces qui me sont nécessaires ? Dieu peut me sauver. S’il m’aime il doit le vouloir. S’il le veut, qu’a-t-il pour cela besoin de moi ? »

Et quel mérite aurez-vous à être sauvé si vous l’êtes sans vous ? En quoi vos efforts méritent-ils le nom d’efforts, en quoi votre vertu est-elle vertu, si vous êtes vertueux sans vous ? Insensé, quel prix aurait à vos yeux votre vie si elle était seulement l’œuvre de Dieu sans votre collaboration ?

Combien vous vous connaissez mal ! Ignorez-vous que l’homme n’aime que ce qu’il fait, n’apprécie que ce qui lui coûte, et se recherche lui-même en tout ce qui le passionne ?

Laissez l’homme « travailler », et Dieu « l’aider ». Que les soldats bataillent, Dieu leur donnera le triomphe. Ne demandez ni aux premiers de combattre sans Dieu, car ils n’y suffiraient pas, ni à Dieu de les faire vaincre sans eux, car leurs lauriers n’auraient nul prix.

Écoutez Jeanne et dites avec elle : « Les gens d’armes batailleront et Dieu leur donnera la victoire. »

Extrait de : Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc, Recueillies et Commentées par M. l’Abbé Le Nordez. Publié en 1899.