Patriotisme, Héroïsme et Sainteté Chez Sainte Jeanne d’Arc

Jeanne d'Arc représentation en trompe l'oeil

« Sainte Jeanne d’Arc, Sainte de la Patrie, Priez Pour Nous et Protégez la France ! »

Le dévouement de l’homme à son pays est donc une vertu morale ; et il n’est peut-être pas inutile de le proclamer plus haut que jamais, à une époque où ce sentiment court risque de s’affaiblir avec tant d’autres instincts légitimes du cœur humain ; où il se trouve des écrivains qui sont de tous les pays, excepté du leur ; où, à force de s’étendre, le lien social finit par se relâcher ; et où le culte exagéré des intérêts matériels menace directement l’esprit de sacrifice. Il n’est, dis-je, pas inutile de rappeler à quelle profondeur l’amour de la patrie avait jeté ses racines dans le cœur du monde païen.

Mais il en a été de cette vertu morale comme de toutes les autres. Le Christianisme les a purifiées, ennoblies, transfigurées. Sans méconnaître ce que la nature humaine a de vrai et de bon, il l’a élevée au-dessus de la terre, pour chercher en Dieu lui-même le principe et la fin de notre activité morale. Sur l’ordre purement humain, il est venu greffer un autre ordre d’idées et de sentiments, l’ordre surnaturel. Il a tourné l’homme vers Dieu, pour que l’homme reçût de ce foyer immortel le rayon de la grâce qui illumine sa vie, la pénètre et la transforme. Par là, nos actes et nos facultés ont pris une direction plus haute ; et il s’est opéré une ascension de tout notre être vers l’infini. Sous cette influence souveraine, la raison, touchée de la grâce et initiée par elle à la révélation, est devenue la foi ; le désir du bonheur, qui nous est inné, s’est changé en vertu sous le nom d’espérance ; la sympathie naturelle pour nos semblables a revêtu les formes célestes de la charité ; le sentiment de notre dépendance vis à vis de l’Être suprême a fait place à cet admirable mélange de défiance de nous-mêmes et de confiance en Dieu qu’on nomme l’humilité. Bref, l’homme moral est sorti des mains du Christ, agrandi et perfectionné, présentant sa face au ciel, d’où lui arrivent une lumière et une force supérieures pour son activité terrestre ; et c’est dans cette transfiguration complète des vertus naturelles par la grâce que consiste la sainteté.

Or, Messieurs, la vertu de dévouement s’est élevée dans Jeanne d’Arc à cette hauteur surnaturelle. Non, n’espérez pas comprendre l’héroïne, si vous n’étudiez la sainte. C’est au-dessus de la terre, par-delà les mobiles d’une activité purement humaine, que la sublime enfant a puisé son héroïsme ; et quand je cherche à travers sa prodigieuse carrière ce qui la remplit et l’explique, je trouve que la foi a été le principe et l’âme de toute sa vie.

Oui, la foi, la soumission à la volonté de Dieu, le désir de l’accomplir en toutes choses, au péril de la vie, et sans autre crainte que celle de ne pas la remplir jusqu’au bout et avec une entière fidélité, voilà le mobile des actions de Jeanne d’Arc. Par là son héroïsme dépasse la sphère de la vie civile, pour entrer dans l’ordre de la sainteté. Je le sais, telle n’est pas l’idée que plusieurs se sont faite de la pieuse jeune fille. On s’est plu quelquefois à, nous la représenter comme une sorte d’amazone entraînée sur les champs de bataille par son humeur guerrière, et s’échauffant au bruit des combats dont elle aurait entrevu la lointaine image dans les rêves d’un esprit exalté. Ce sont là des tableaux de fantaisie qui s’évanouissent devant la réalité des faits. Ni les goûts personnels de Jeanne, ni ses aspirations ne répondaient au rôle que la Providence l’avait appelée à Jouer : « Et certes, disait-elle, j’aimerais bien mieux filer auprès de ma pauvre mère, car ce n’est pas mon état ; mais il faut que j’aille et que je le fasse, parce que Messire veut que je fasse ainsi… Et plût à Dieu, mon Créateur, que je m’en retournasse, quittant les armes, et que je revinsse servir mon père et ma mère, gardant leurs troupeaux avec ma sœur et mes frères, qui seraient bien aises de me voir ! »

Ce n’est pas même au sentiment patriotique, pourtant si vif dans cette belle âme, qu’il faut demander la raison suprême de sa conduite. Ses répugnances devant la simple perspective de sa mission montrent assez qu’elle se déterminait par des motifs encore plus élevés. « Non, ajoutait-elle, avec cet accent de sincérité qui éclate dans toutes ses paroles, j’eusse mieux aimé être tirée à quatre chevaux que de venir en France sans la volonté de Dieu. » Tant il est vrai que, pour trouver la clef de cette vie extraordinaire, on a besoin de la chercher dans un principe supérieur aux affections et aux intérêts terrestres. Ce principe suprême et régulateur, nous l’avons dit, est celui-là même qui anime et dirige la vie des saints : le désir de répondre à la grâce divine, quoiqu’il en coûte, dût-il en résulter le sacrifice de la vie.

Extrait de : Panégyrique de Jeanne d’Arc, Prononcé dans la Cathédrale d’Orléans le 8 Mai 1867, par Mgr Charles-Émile Freppel.

« Le dévouement de l’homme à son Pays est une vertu morale », « risque d’affaiblissement du patriotisme », « l’Esprit de Sacrifice menacé par le matérialisme », « le Christianisme a ennobli les Vertus Morales », « homme moral est sorti des mains du Christ, agrandi et perfectionné », « héroïsme dépassant la sphère de la vie civile », « la soumission et fidélité à la volonté de Dieu anime et dirige la vie des Saints »…

Tant de choses à retenir, tant de leçons à appliquer…

Et comme beau modèle, la plus Française de toutes les Saintes, Jeanne d’Arc.

La Vie Chrétienne dans le Monde, par Mgr Freppel (3 et fin)

Jésus a vaincu le monde

Jésus a vaincu le monde !

Vivre en Chrétien dans le monde, c’est prendre l’Évangile pour règle et pour guide ; c’est sanctifier les actions de chaque jour par la droiture de l’intention et la pureté du motif. Vivre en Chrétien dans le monde, c’est profiter de la condition où Dieu nous place, des ressources particulières qu’elle nous offre pour accomplir tout le bien dont nous sommes capables. Vivre en Chrétien dans le monde, c’est se créer au fond de son âme une retraite où, seul avec Dieu, l’on se retrouve en face de soi-même, au milieu du bruit et des agitations de la terre. Vivre en Chrétien dans le monde, c’est conserver l’esprit de pauvreté au sein des richesses, l’esprit d’humilité dans l’éclat des grandeurs humaines, l’esprit de sacrifice au milieu des plaisirs et des jouissances. Vivre ainsi, c’est mourir à soi-même, à ses vices et à ses passions, mais c’est vivre pour Dieu et pour l’éternité, qui perdiderit animam suam propter me, inveniet eam [Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera.].

Quand l’esprit de foi pénètre ainsi le Chrétien dans les grandes conditions de l’existence sociale, tout se modifie pour lui et se transforme à ses yeux. La vie du monde perd ce qu’elle avait de dangereux pour lui offrir toute sorte d’avantages spirituels. Les richesses deviennent pour lui un dépôt sacré que la Providence lui confie dans l’intérêt de tous ; le pouvoir, un service qu’il doit remplir pour le bien de ses frères ; la science, un don dont il rapporte la gloire à Dieu. Autant de périls, autant de moyens pour avancer dans la perfection morale. A la hauteur où sa foi l’élève, le Chrétien envisage les tentations qui l’assaillent dans le monde comme des luttes destinées à exercer sa vertu ; les distractions auxquelles les convenances sociales l’obligent de prendre part, comme des moments de relâche qui lui permettent de s’appliquer, avec d’autant plus d’ardeur, aux devoirs que Dieu lui impose ; les déceptions et les mécomptes, comme des leçons divines qui l’avertissent de ne pas s’attacher à cette figure passagère du monde ; les succès enfin, et le bonheur même, comme une dette qu’il doit acquitter envers la Providence par une plus grande fidélité à remplir ses desseins et à suivre ses voies. Transfigurée de la sorte par l’esprit de foi, la vie du monde fait trouver au Chrétien le secours à côté du danger, et les moyens de salut dans la tentation même : faciet etiam cum tentatione proventum, ut possitis sustinere [Il vous fera sortir avec avantage de la tentation ; en sorte que vous pourrez la supporter].

Transmettre au monde la force de ta Croix

Transmettre au monde la force de Ta Croix.
Image Scoute Lucerna Ardens.

C’est vous, ô mon Dieu, qui nous avez placés sur la scène du monde, en nous ordonnant d’y travailler au salut de notre âme. Vous n’avez pas voulu que notre vie se passât dans la solitude, loin des hommes, là où la tentation est moins fréquente et la vertu plus facile. Indiquez-nous les moyens de nous sanctifier dans les emplois de notre vocation. Gravez au fond de notre cœur cette parole qui est tombée de vos lèvres divines : Que sert-il à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme (Matth. XVI, 23) ? Faites-nous comprendre que ni le talent, ni la fortune, ni les dignités n’ont de valeur à vos yeux, si l’on n’en fait point usage pour votre gloire et pour le bien de l’humanité. Préservez-nous du malheur de ceux dont vous avez dit : Ils ont reçu leur récompense dans ce monde (Matth. VI, 2). Inspirez-nous le désir d’amasser des mérites pour le grand jour de la rétribution finale, où un peu de foi pèsera plus dans la balance de votre justice que beaucoup de science, où la pureté du cœur sera plus appréciée que l’élévation de l’esprit, où toutes choses disparaîtront pour nous, excepté nos bonnes œuvres qui, seules, nous accompagneront jusqu’au seuil de l’éternité, pour nous introduire dans le sein de votre gloire.

Extrait de : La Vie Chrétienne, Sermons Prêchés à la Chapelle des Tuileries, par Mgr Charles-Émile Freppel. 1865.

La Vie Chrétienne dans le Monde, par Mgr Freppel (2)

Reliquaire du cœur de Mgr Freppel église d'Obernai

Reliquaire contenant le cœur de Mgr Freppel, église d’Obernai (Alsace).

II

On se fait souvent dans le monde une idée bien fausse de la vie Chrétienne. Beaucoup s’imaginent que la sainteté exige des choses extraordinaires, des actions d’éclat, des miracles ou des prophéties. La sainteté n’est rien de tout cela. Quand le riche de l’Évangile demande à Jésus-Christ quel bien il faut faire pour arriver à la vie éternelle, le Sauveur lui répond : Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements. La vie Chrétienne consiste dans « l’accomplissement fidèle des devoirs que la Providence nous impose suivant la condition particulière où elle nous a placés » comme dit saint Paul (I Cor. VII, 20). On est saint, « alors que l’on conserve avec la grâce divine un cœur pur et disposé à toute bonne œuvre » (II Tim. II, 21). Tendre à la sainteté, « c’est bien faire tout ce que l’on doit faire » (Deut. XVI, 20) ; c’est porter dans les choses communes et ordinaires de la vie une intention droite et pure ; c’est agir en vue de Dieu, pour remplir sa sainte volonté ; c’est rapporter à sa gloire toute l’activité de notre être ; c’est s’appliquer à la vertu en combattant sans relâche les penchants déréglés de la nature ; c’est retremper notre âme aux sources vives de la grâce pour lui communiquer une énergie surnaturelle et divine. Voilà, mes frères, la vie Chrétienne, et quand l’Écriture Sainte veut résumer la perfection idéale de l’Homme-Dieu, elle se contente de ces mots que répétait une multitude ravie d’admiration : il a bien fait toutes choses (St Marc VII, 27).

Dieu vous a confié la mission de servir de votre épée le prince et la patrie, vous êtes entrés dans cette carrière de l’honneur et de la fidélité : c’est là, comme disait Bossuet, dans ce langage qui n’est qu’à lui, la grande maxime de la politique du ciel ; faites ce que vous faites, mais faites-le pour Dieu, et non pas uniquement en vue d’un intérêt périssable. Ne cherchez pas en dehors de votre noble profession les moyens de sanctifier votre âme. Dieu vous les offre dans vos devoirs d’état acceptés de sa main avec docilité et remplis dans un esprit de foi. Si la pratique des vertus Chrétiennes vient féconder pour le Ciel cette vie d’abnégation et de sacrifice, le Seigneur pourra dire de vous comme du centurion romain : En vérité, je n’ai pas trouvé une si grande foi dans Israël (St Matthieu VIII, 10).

Dieu vous a-t-il associés au ministère de sa justice, votre vie est-elle vouée à la défense du droit et des intérêts de vos semblables, c’est dans l’exercice de ces augustes fonctions, accomplies sans crainte ni passion, pour la gloire de Dieu et pour le bien de vos frères, c’est la, dis-je, et non ailleurs, qu’est le principe de votre perfection morale et la source de votre bonheur futur. Consacré à Dieu par l’offrande de la prière, uni au sacrifice du Rédempteur par le lien d’une foi vive, ce travail de la vie présente, qui semble s’arrêter aux limites de la société terrestre, acquiert un prix surnaturel et une valeur pour l’éternité.

Vivre où Dieu le veut image scoute

Et bien vivre là où Dieu m’a voulu !
Image Scoute par Fra Nodet, éditions Lucerna Ardens, N°116).

Dieu vous a-t-il appelés à répandre autour de vous les lumières de la science, à travailler au développement religieux et moral des peuples par la culture de l’esprit, en ouvrant un vaste champ à l’activité de votre intelligence, il prépare pour votre âme un trésor de mérites. Car il n’est pas d’emploi dans le monde qui ne puisse devenir pour nous un moyen d’atteindre à la perfection Chrétienne. Rien n’est petit dans la vie, rien n’est indifférent devant Dieu. Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, écrivait saint Paul, quelque chose enfin que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu (I Cor. X, 31). Et Notre Seigneur Jésus-Christ voulant nous apprendre qu’aucune action, si peu importante qu’elle paraisse, ne passera inaperçue devant Dieu, disait à ses apôtres : En vérité, je vous le dis, un verre d’eau qui vous sera donné en mon nom ne restera pas sans récompense (St Marc IX, 40)

Que sera-ce de ces grands actes qui, venant de plus haut, peuvent assurer le bonheur des peuples et contribuer si puissamment au salut des âmes ? Mais, vous l’entendez, mes frères, ce n’est qu’au nom de Jésus-Christ, par la vertu de sa grâce, en union avec son sacrifice, que nos œuvres deviennent salutaires et méritoires : sans cette consécration divine, elles s’arrêtent à la terre et restent stériles pour le Ciel.

Ainsi, je n’appelle pas vie Chrétienne une vie d’où la pensée de Dieu est absente, quelque belle d’ailleurs, quelque brillante qu elle soit en apparence ; une vie qui s’épuise dans le cercle étroit des choses d’ici-bas sans s’élever au-dessus de la terre ; une vie dont les actes ne sont pas empreints du sceau de la religion ni marqués du caractère dé l’immortalité ; une vie qui ne cherche que dans les intérêts temporels le principe et la fm de son activité ; une vie où les sollicitudes de ce siècle étouffent le sens des choses surnaturelles et divines ; une vie légère et frivole, vide d’occupations sérieuses, dominée par ce que l’Écriture Sainte appelle si bien la fascination de la bagatelle (Livre de la Sagesse, IV, 12) ; une vie tout extérieure qui se dissipe au milieu des affaires et des plaisirs de ce monde, sans jamais se replier sur elle-même dans le commerce intime de l’âme avec Dieu ; une vie enfin qui ne se rattache à l’éternité ni par le chemin qu’elle suit, ni par le but où elle tend. Une telle vie n’est pas une vie Chrétienne, c’est la mort de l’âme (Apocalypse, III, 1).

Extrait de : La Vie Chrétienne, Sermons Prêchés à la Chapelle des Tuileries, par Mgr Charles-Émile Freppel. 1865.

La Vie Chrétienne dans le Monde, par Mgr Freppel (1)

Transmettre au monde la force de la Croix

Transmettre au monde la force de la Croix. Image Scoute par Fra Nodet.

Lorsqu’on envisage la vie du chrétien sur la terre, les tentations qui viennent l’assaillir de toutes parts, les périls auxquels l’exposent l’esprit d’orgueil et d’indépendance, l’attrait des jouissances matérielles et l’attachement aux biens sensibles ; quand surtout l’on suit cette lutte sur un théâtre plus élevé, dans ces grandes conditions de la vie où l’abus devient plus facile parce que l’on peut davantage, où les dangers se multiplient avec les causes qui les font naître, où les occasions du mal se présentent lors même qu’on ne les cherche pas : à la vue de ces difficultés que nous rencontrons sur notre chemin, on est tenté de se demander si Dieu n’a pas soumis la liberté humaine à une trop forte épreuve, si la vie chrétienne est réellement compatible avec toutes les situations de l’homme, et si l’éloignement du service de Dieu ne trouve pas une excuse légitime dans les obstacles qui surgissent de nous-mêmes et du monde.

L’apôtre saint Paul répond à cette question par les paroles que j’ai choisies pour mon texte. Appuyé sur la certitude des promesses divines, il cherche à combattre le prétexte dont l’homme voudrait s’autoriser pour justifier ses faiblesses. A l’exemple de saint Paul, je me propose de montrer que la pratique des vertus chrétiennes n’est pas incompatible avec les grandes conditions de la vie, parce que Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces, et en second lieu, que la vie du monde, toute périlleuse qu’elle est, peut devenir une source d’avantages spirituels, parce que Dieu nous fait profiter de la tentation même, afin que nous puissions persévérer. C’est au développement de ces deux pensées de l’apôtre que je vais consacrer ce discours.

I

Dieu, qui gouverne les sociétés humaines, a établi comme loi de leur existence l’inégalité des conditions. De même qu’il distribue aux hommes dans la mesure qu’il lui plaît les avantages du corps et les dons de l’intelligence, il les admet à divers degrés au partage des biens de la terre. Cette répartition inégale de la richesse et du pouvoir, en faisant dépendre les uns des autres, relie entre eux tous les membres de la famille humaine par une vaste réciprocité de services et de fonctions. Il en résulte que les grandes conditions, comme les situations inférieures de la vie, sont également dans l’ordre décrété par la Providence. Or, à ces conditions privilégiées de l’existence sociale s’attache un éclat naturel qui rejaillit sur tout l’homme et se manifeste dans le train ordinaire de la vie. Tout participe à cette élévation du rang et de la fortune : la demeure que l’homme se choisit, sa manière d’être, ses goûts, ses habitudes et jusqu’à ces choses extérieures qui servent à le vêtir ou à l’orner. Contenus dans de justes limites et ramenés aux exigences légitimes des temps et des lieux, ces dehors brillants de la richesse et du pouvoir n’ont rien que l’Évangile réprouve, et la vie du monde, pour exprimer d’un mot toute ma pensée, la vie du monde n’est nullement inconciliable avec la pratique des vertus Chrétiennes.

Sans doute, mes frères, je me hâte de le dire, la vie du monde a ses dangers, et il suffit d’ouvrir l’Évangile pour voir que Jésus-Christ ne lui épargne ni les avertissements ni es reproches. Dans cette magnifique parabole de la semence, où il résume les destinées diverses de la parole de Dieu parmi les hommes, il désigne par les épines au milieu desquelles tombe le grain céleste, les sollicitudes de ce siècle et l’illusion des richesses qui étouffent la parole divine et la rendent infructueuse. Un peu plus loin, comparant le royaume des cieux à un festin auquel beaucoup de convives sont invités, il peint l’obstacle qu’opposent à l’Évangile les embarras de la vie du monde. Chacun s’excuse à son tour de ne pouvoir répondre à l’appel divin : celui-ci cherche un prétexte dans ses travaux, celui-là dans ses plaisirs ; tous ont autre chose à faire, nul n’a le temps de s’occuper de son âme. Triste, mais saisissant tableau de ces vies où toutes choses trouvent leur place, excepté Dieu ! Une autre fois, s’attaquant au mauvais exemple, qui est la source ordinaire du désordre des mœurs, il s’écrie : Malheur au monde à cause de ses scandales ! Et enfin, voulant signaler les périls qui naissent, non pas de la richesse Chrétienne, de la richesse charitable, mais de la richesse égoïste et sensuelle, il prononce ce grand mot : Il est difficile que de tels hommes entrent dans le royaume des cieux. Il ne m’appartient pas de rien ajouter à ces paroles du Divin Maître : elles montrent suffisamment de quels écueils la vie du monde est semée, et combien l’oubli de Dieu est facile dans les grandes places.

Image pieuse Jésus vient sauver le monde

« Il ne vient pas juger le monde. Mais pour que le monde soit Sauvé par Lui. » St Jean III, 17.

Et cependant j’entends saint Paul qui nous répète : Fidelis Deus, Dieu est fidèle en ses promesses. Si, pour le maintien des sociétés humaines, il a établi les grandes conditions de la vie, il ne saurait permettre que l’homme y trouve une épreuve morale qui dépasse ses forces. Car Dieu ne manque à personne : il veut que tous aient le pouvoir et les moyens de se sauver. Non, pour mener une vie chrétienne, il n’est pas nécessaire de quitter le monde, de se condamner à l’isolement, de s’ensevelir au fond d’une retraite, sans lien ni contact avec la société. Le lieu ne fait pas les saints disait saint Augustin ; mais nos bonnes œuvres sanctifieront le lieu en nous sanctifiant nous-mêmes. Ce n’est pas un sujet de louange de demeurer dans Jérusalem, mais c’en est un d’y bien vivre, écrivait saint Jérôme à saint Paulin, qui le félicitait de s’être retiré dans le monastère de Bethléem.

L’Évangile ne défend pas de se mêler aux affaires du monde, de prendre part à ses réunions, ni même à ses divertissements, quand ils n’ont rien de contraire à la décence et à l’honnêteté Chrétienne. Dieu ne demande ce sacrifice exceptionnel qu’à ceux dont il s’est réservé la vie d’une manière plus spéciale pour l’apostolat de la parole ou de la prière ; mais telle n’est pas la règle qu’il impose à la généralité des hommes. C’est au milieu du monde, dans les différentes positions auxquelles la Providence les destine, qu’ils peuvent et qu’ils doivent se sanctifier : chacune d’elles leur fournit l’occasion de pratiquer la vertu et le moyen d’amasser des mérites, les plus brillantes aussi bien que les plus obscures, les plus modestes non moins que les plus élevées.

Car la sainteté n’est pas le privilège de quelques-uns ; elle doit être la condition de tous. Elle est avec saint Louis sur le trône, comme elle est avec saint Bernard dans la solitude. Elle est avec sainte Monique dans l’intimité de la vie de famille, comme elle est avec sainte Clotilde dans l’éclat des grandeurs humaines. Elle est avec saint Maurice au milieu des armées et dans le tumulte des camps, comme elle est avec saint Antoine dans les déserts de la Thébaïde. Elle est avec saint Thomas d’Aquin dans le silence de l’étude, comme elle est avec saint Grégoire dans le gouvernement du monde. Elle est avec saint Vincent de Paul dans les œuvres du dévouement, comme elle est avec sainte Thérèse au milieu des exercices de la vie contemplative. Elle resplendit également dans la richesse comme dans la pauvreté, au foyer domestique et à la tête des cités, au fond des cloîtres et sur la scène du monde : la sainteté est partout, comme l’Église est partout, comme Dieu est partout.

La vie du monde n’est donc pas inconciliable avec la pratique des vertus chrétiennes. Si, pour éprouver la fidélité d’une classe d’hommes dans les grandes conditions où sa Providence les place, Dieu permet que le péril augmente avec le don de la richesse ou du pouvoir, il arrête la tentation dans la limite de nos forces. Certes, l’exemple de David et de Salomon nous montre assez que le vertige peut gagner les meilleures têtes, et l’attrait du vice triompher des volontés jusqu’alors les plus fermes. Mais, en nous avertissant de notre fragilité par le souvenir de ces chutes éclatantes, l’Écriture Sainte nous encourage également par le spectacle des grandes vertus que les serviteurs de Dieu ont pratiquées au milieu du monde.

A la cour d’un roi idolâtre, Esther sait conserver la simplicité et l’innocence de son âme, sans se laisser éblouir par les pompes qui l’environnent. Pendant que les désordres de Ninive entraînent au mal la plupart de ses compagnons d’exil, Tobie résiste au mauvais exemple et persévère dans la crainte du Seigneur, en partageant sa vie entre les saintes affections du foyer domestique et le soulagement de ses frères malheureux. Malgré les séductions qui l’assiègent à la cour du roi de Babylone, Daniel sait préserver son cœur des atteintes du vice, et garder intacte la foi de ses pères au sein des honneurs et des dignités. Si déjà l’ancienne loi nous propose de tels modèles, l’Église, cette mère des saints, peut nous montrer depuis dix-huit siècles l’élite de ses fils sanctifiant les grandes conditions de la vie par la pratique de l’Évangile, et profitant de ces conditions mêmes pour accomplir l’œuvre de leur perfectionnement moral. Car, non-seulement la vie chrétienne est possible au milieu du monde, mais encore elle peut trouver toute sorte d’avantages spirituels dans ce qui semblerait devoir n’être qu’une source de tentations.

Extrait de : La Vie Chrétienne, Sermons Prêchés à la Chapelle des Tuileries, par Mgr Charles-Émile Freppel. 1865.

La Vie Chrétienne par Mgr Freppel – 3 – Liberté et Détachement

Détachement mène au royaume de Dieu

« Bienheureux les pauvres par le détachement, parce que le Royaume des Cieux est à eux. »

Opposer à l’esprit d’orgueil le sentiment de la dépendance ou l’humilité de la foi, telle est la ligne de conduite que Jésus-Christ nous trace au milieu de cette deuxième épreuve offerte à la liberté humaine. Là cependant ne se borne point le rôle de la tentation dans la vie de l’homme. De même qu’elle s’interpose entre les sens et l’esprit, qu’elle vient se placer entre l’esprit et Dieu, elle s’attaque à la volonté en ouvrant devant nous une perspective de fausse grandeur, en nous détournant du service de Dieu par l’appât des richesses. « Vous serez comme des dieux » je te donnerai toutes ces choses, si, te prosternant, tu m’adores : telle est la proposition que Satan renouvelle à chaque homme sous une forme quelconque ; du jardin de l’Éden à la montagne du désert, et de là jusqu’à nous, tous les échos de la terre se sont renvoyé ce troisième mot de la tentation.

Il suffit, en effet, de prêter l’oreille aux bruits du monde pour se convaincre que cette voix n’a rien perdu de son charme séducteur. Elle sort, cette voix, elle sort de nous-mêmes, expression de ce désir illimité de la possession qui nous est inné comme l’esprit d’indépendance, comme l’amour du plaisir. Elle sort de ces écrits périodiques qui allument et nourrissent la fièvre du gain. Elle sort de ces programmes fastueux qui irritent la convoitise sans pouvoir la satisfaire, qui promettent la richesse non pas au travail persévérant et honnête, mais à d’heureux hasards. Elle sort de ces temples de la fortune où comme jadis dans les sanctuaires du paganisme l’idole finit souvent par dévorer ses adorateurs. « Je te donnerai toutes ces choses, si, te prosternant, tu m’adores » répète le tentateur en reproduisant sous nos yeux ce mirage fallacieux, je te donnerai toutes ces choses, si tu te voues à mon culte qui est le culte de la matière, si pour arriver à ton but tu ne te montres pas scrupuleux dans le choix des moyens, si tu sais sacrifier à propos la probité à l’intérêt et l’honneur au succès, si tu caches l’injustice sous le voile de l’habileté et que tu appelles science des affaires ce qui est la perversion du sens moral ; si enfin, au milieu de cette recherche ardente, passionnée, tu oublies Dieu, ton âme, ton salut, oh alors ! je te donnerai toutes ces choses.

A cela que répond Jésus-Christ ? « Vous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne servirez que lui. » Remarquez-le, mes frères, Jésus-Christ ne dit pas que les biens de la terre soient un mal ; il ne défend nullement de les estimer ou de les acquérir dans les limites de la justice et de la modération. Non, ce qu’il défend, c’est d’y attacher son cœur, d’y aspirer comme au but unique de la vie, de s’en faire le serviteur ou l’esclave, selon la forte expression de saint Cyprien, tandis qu’à Dieu seul appartient l’hommage de tout notre être. Servez Dieu, nous dit le Sauveur, donnez-vous à lui de cœur et d’âme, et alors vous désirerez ces choses avec moins d’ardeur, vous les rechercherez par les seuls moyens que la conscience approuve, vous les posséderez avec plus de fruit, et vous les perdrez avec moins de regret. Servez Dieu fidèlement, et au lieu de devenir l’esclave des biens de la nature, vous les ferez servir à la sanctification de votre âme : vous rapporterez à Dieu l’éclat dont les hommes entourent votre nom, vous exercerez pour le bien l’autorité dont vous êtes revêtu, vous emploierez vos richesses au soulagement de vos frères. Servez Dieu dans la sincérité de votre foi, et les obstacles se changeront en moyens ; ce qui pouvait être une cause de perdition deviendra pour vous un instrument de salut, et ce qui devait vous détacher de Dieu vous élèvera vers lui ; car toutes choses tournent au bien pour ceux qui servent Dieu avec amour.

La vie de l’homme est une épreuve offerte à sa liberté, et cette épreuve est destinée à montrer ce que nous sommes et ce que nous valons. Dieu, dit Tertullien, n’a pas voulu que l’homme fût bon par nécessité, mais qu’il le devînt par choix. En agissant de la sorte, Dieu a traité l’homme avec respect, selon le beau mot de la Sainte Écriture ; il a laissé à notre libre arbitre un champ illimité ; il a placé devant nous la vie ou la mort : à nous de choisir. Telle est la part que Dieu nous a faite, et cette part, elle est grande et belle, digne de celui qui nous offre l’épreuve, digne de nous qui la subissons. C’est la gloire de l’humanité, que Dieu ait mis sa destinée au prix d’un combat, et qu’elle ne puisse plus trouver le bonheur que dans ce qui fera son mérite. Assurément il en coûte à notre nature déchue de lutter avec elle-même, ses vices et ses passions ; mais c’est la lutte qui nous fortifie, c’est la lutte qui nous élève : semblables à ces arbres généreux qui ne montent si haut que parce que les secousses de l’orage ont éprouvé leur force. Si rien n’est moins facile, rien n’est plus beau ni plus glorieux que cette lutte où Dieu nous assiste, où les anges nous contemplent, où les saints nous encouragent, où l’Église nous bénit, et où Jésus-Christ, après avoir combattu comme nous, nous donne l’espoir de triompher avec lui : c’est après avoir été éprouvé que l’homme recevra la couronne de la vie. Ainsi soit-il !

Extrait de : La Vie Chrétienne, Sermons Prêchés à la Chapelle des Tuileries, par Mgr Charles-Émile Freppel. 1865.

Détachement des créatures à l'exemple de la Vierge Marie

DÉTACHEMENT DES CRÉATURES

À l’exemple de Marie, détachez votre cœur des choses d’ici-bas et consacrez-le tout entier à Dieu seul.

Pratique : faites toutes vos actions dans les sentiments du Cœur de Marie.
Oraison jaculatoire : Cœur de Marie, image parfaite du Cœur de Jésus, priez pour nous.