Litanies de Saint-Martin Apôtre des Gaules.
« Chaque homme ici-bas a un rôle à remplir, domestique ou public, obscur ou éclatant. Les uns exercent une action à peine sensible dans l’humble sphère où ils s’agitent : ils passent inaperçus, et disparaissent sans laisser de trace de leur existence. D’autres, jetés sur un plus vaste théâtre, jouent un rôle plus ou moins important sur la scène du monde, et se trouvent mêlés, comme acteurs secondaires, au mouvement de leur siècle. D’autres, enfin, envoyés sur la terre avec une mission providentielle, résument en eux toute une époque, commandent aux nations plus que les rois eux-mêmes, donnent le mot d’ordre au lieu de le recevoir, et introduisent les peuples dans des voies nouvelles. Au nombre de ces hommes providentiels nous devons compter saint Martin, dont le nom, dans l’histoire religieuse et politique des Gaules, remplit à lui seul la seconde moitié du quatrième siècle, et domine encore les siècles suivants.
Saint Martin n’est donc point pour nous un saint ordinaire. Sans doute, si nous voulions l’envisager en lui-même, l’isoler de l’époque qu’il a remplie, de l’influence qu’il a exercée, du mouvement auquel il a imprimé l’impulsion, il nous offrirait encore un sujet digne du plus haut intérêt. Les admirables vertus dont il a donné l’exemple étonneront toujours la postérité ; sa charité, son esprit d’abnégation, son zèle apostolique, sa patience, sa douceur, son dévouement, nous présenteraient de magnifiques tableaux. Toutefois, il nous semble que, sans trop l’amoindrir, nous pouvons voir dans le glorieux patron de la Touraine et de la France, autre chose qu’un sublime modèle de toutes les vertus ; nous pouvons voir en lui l’ouvrier de la Providence, l’œuvre divine et humaine que Dieu a voulu accomplir par ses mains, et à ce point de vue sa figure prend une étonnante majesté.
Ce n’est point, en effet, sans un grand dessein que Dieu l’avait rendu puissant en œuvres et en paroles et en avait fait l’homme de sa droite. Si nous recherchons quelle a été la mission providentielle de saint Martin, quels ont été le but et la portée de son influence, nous serons frappés de l’imposante grandeur qu’il nous offrira, soit pendant sa vie, soit après sa mort. La mission de saint Martin nous présente ces deux phases distinctes : pendant sa vie, il convertit la Gaule entière par la prédication de sa parole et de ses miracles ; après sa mort, il se survit à lui-même pour protéger de son influence tutélaire le berceau de la nation française, et présider du fond de sa tombe au développement de ses destinées.
C’est à ce point de vue tout nouveau que nous avons voulu nous placer pour parler de saint Martin. Les contemporains de notre saint, trop rapprochés de lui, n’ont pas même entrevu les vastes proportions de son rôle ; les historiens modernes, s’attachant servilement à suivre Sulpice Sévère et Grégoire de Tours, se sont trop renfermés dans la partie anecdotique de leur sujet, et n’ont pas essayé de rassembler les traits épars de cette grande physionomie pour en faire un portrait complet et vivant ; nous osons dire qu’en ne voyant dans leur héros que le saint, ils n’ont pas vu saint Martin tout entier. C’est cette lacune que nous avons voulu combler, en présentant aujourd’hui à nos lecteurs la figure historique de saint Martin, telle qu’elle se dessine à quinze siècles de distance, dans la trame des événements.
Le principal titre de saint Martin, aux yeux de l’histoire, c’est la conversion de la Gaule au christianisme. Au quatrième siècle, cette contrée était encore presque tout entière plongée dans les ombres de l’idolâtrie. Bien différente de l’Italie et des provinces orientales de l’empire romain, où les chrétiens dominaient depuis longtemps, elle ne connaissait l’Évangile que depuis quelques années. La prédication de la foi, entravée par les persécutions, n’avait pu faire retentir la vérité sur tous les points de cette vaste région. Les villes seules connaissaient Jésus-Christ, et le paganisme, qui était encore en grande majorité, s’était réfugié dans les campagnes avec ses temples, ses idoles, ses superstitions et sa barbarie. La parole des évêques, la science des docteurs, l’exemple des saints, auraient sans doute gagné peu à peu ces multitudes à la doctrine évangélique, mais l’action de la parole est bornée, l’influence de la persuasion est lente, et si Dieu n’avait pas employé des moyens plus rapides pour convertir les idolâtres, il est incontestable que la conversion de la Gaule eût été retardée de deux siècles. Or, il entrait dans ses desseins d’appeler notre pays, à cette heure, et d’une manière solennelle, à la connaissance de la vérité, et pour cela il suscita non un orateur, ni un écrivain, ni un docteur ; il ne se contenta pas même de susciter un grand évêque, un grand saint, il suscita un apôtre, un thaumaturge, et de même qu’il avait envoyé saint Paul à la Grèce, à la Gaule il envoya saint Martin.
Saint Martin réunissait en lui ces qualités éminentes qui donnent aux hommes une influence immense sur leurs semblables : une âme ardente et communicative, un cœur de feu, une parole sympathique, un zèle infatigable, et par-dessus tout cela la réputation d’une vertu héroïque et d’une sainteté consommée, couronnées par le don des miracles. Il possédait au suprême degré ce je ne sais quoi de divin qui subjugue et entraîne les hommes. Aussi produisit-il partout un effet irrésistible, constaté par le témoignage de ses contemporains, par le culte de tout l’univers et par l’admiration constante de la postérité. Partout où la Providence l’appela, il excita sur son passage un enthousiasme indescriptible. Des multitudes de chrétiens et d’idolâtres accouraient sur ses pas, et conduisaient les malades, les infirmes et les démoniaques ; les sénats des villes se portaient à sa rencontre, et le suppliaient d’entrer dans leurs murs ; des provinces entières se levaient en masse pour le voir et l’entendre. C’était une affluence immense, ou plutôt son voyage était une marche véritablement triomphale. Glorieux triomphe, où Martin conduisait après lui des troupes innombrables d’heureux captifs, qu’il arrachait à l’idolâtrie et conquérait à l’Évangile
A la mort de saint Martin, son œuvre était terminée ; cependant le saint évêque, jetant un regard inquiet sur la Gaule qu’il avait conquise à l’Évangile, disait à Dieu : « Seigneur, si je suis encore nécessaire à ton peuple, je ne refuse pas le travail ! » Mais sa tâche était finie ; la mission providentielle pour laquelle le Seigneur l’avait envoyé était accomplie, ou plutôt, du fond de son tombeau, il allait commencer une autre mission, non moins sublime, non moins glorieuse, non moins providentielle. Du fond de son tombeau, il allait veiller sur le berceau de la fille aînée de l’Église, et présider aux nouvelles destinées de la France. »
Extrait de : Figure historique de Saint Martin, étude sur son rôle et sur son influence, par l’Abbé Casimir Chevalier. 1862.
Le Tombeau de saint Martin tel qu’il était il y quelques décennies.
Aujourd’hui l’inscription « Saint Martin Patron de la France Priez Pour Nous » a disparu. Pourquoi ? …