« Bienheureux les pauvres par le détachement, parce que le Royaume des Cieux est à eux. »
Opposer à l’esprit d’orgueil le sentiment de la dépendance ou l’humilité de la foi, telle est la ligne de conduite que Jésus-Christ nous trace au milieu de cette deuxième épreuve offerte à la liberté humaine. Là cependant ne se borne point le rôle de la tentation dans la vie de l’homme. De même qu’elle s’interpose entre les sens et l’esprit, qu’elle vient se placer entre l’esprit et Dieu, elle s’attaque à la volonté en ouvrant devant nous une perspective de fausse grandeur, en nous détournant du service de Dieu par l’appât des richesses. « Vous serez comme des dieux » je te donnerai toutes ces choses, si, te prosternant, tu m’adores : telle est la proposition que Satan renouvelle à chaque homme sous une forme quelconque ; du jardin de l’Éden à la montagne du désert, et de là jusqu’à nous, tous les échos de la terre se sont renvoyé ce troisième mot de la tentation.
Il suffit, en effet, de prêter l’oreille aux bruits du monde pour se convaincre que cette voix n’a rien perdu de son charme séducteur. Elle sort, cette voix, elle sort de nous-mêmes, expression de ce désir illimité de la possession qui nous est inné comme l’esprit d’indépendance, comme l’amour du plaisir. Elle sort de ces écrits périodiques qui allument et nourrissent la fièvre du gain. Elle sort de ces programmes fastueux qui irritent la convoitise sans pouvoir la satisfaire, qui promettent la richesse non pas au travail persévérant et honnête, mais à d’heureux hasards. Elle sort de ces temples de la fortune où comme jadis dans les sanctuaires du paganisme l’idole finit souvent par dévorer ses adorateurs. « Je te donnerai toutes ces choses, si, te prosternant, tu m’adores » répète le tentateur en reproduisant sous nos yeux ce mirage fallacieux, je te donnerai toutes ces choses, si tu te voues à mon culte qui est le culte de la matière, si pour arriver à ton but tu ne te montres pas scrupuleux dans le choix des moyens, si tu sais sacrifier à propos la probité à l’intérêt et l’honneur au succès, si tu caches l’injustice sous le voile de l’habileté et que tu appelles science des affaires ce qui est la perversion du sens moral ; si enfin, au milieu de cette recherche ardente, passionnée, tu oublies Dieu, ton âme, ton salut, oh alors ! je te donnerai toutes ces choses.
A cela que répond Jésus-Christ ? « Vous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne servirez que lui. » Remarquez-le, mes frères, Jésus-Christ ne dit pas que les biens de la terre soient un mal ; il ne défend nullement de les estimer ou de les acquérir dans les limites de la justice et de la modération. Non, ce qu’il défend, c’est d’y attacher son cœur, d’y aspirer comme au but unique de la vie, de s’en faire le serviteur ou l’esclave, selon la forte expression de saint Cyprien, tandis qu’à Dieu seul appartient l’hommage de tout notre être. Servez Dieu, nous dit le Sauveur, donnez-vous à lui de cœur et d’âme, et alors vous désirerez ces choses avec moins d’ardeur, vous les rechercherez par les seuls moyens que la conscience approuve, vous les posséderez avec plus de fruit, et vous les perdrez avec moins de regret. Servez Dieu fidèlement, et au lieu de devenir l’esclave des biens de la nature, vous les ferez servir à la sanctification de votre âme : vous rapporterez à Dieu l’éclat dont les hommes entourent votre nom, vous exercerez pour le bien l’autorité dont vous êtes revêtu, vous emploierez vos richesses au soulagement de vos frères. Servez Dieu dans la sincérité de votre foi, et les obstacles se changeront en moyens ; ce qui pouvait être une cause de perdition deviendra pour vous un instrument de salut, et ce qui devait vous détacher de Dieu vous élèvera vers lui ; car toutes choses tournent au bien pour ceux qui servent Dieu avec amour.
La vie de l’homme est une épreuve offerte à sa liberté, et cette épreuve est destinée à montrer ce que nous sommes et ce que nous valons. Dieu, dit Tertullien, n’a pas voulu que l’homme fût bon par nécessité, mais qu’il le devînt par choix. En agissant de la sorte, Dieu a traité l’homme avec respect, selon le beau mot de la Sainte Écriture ; il a laissé à notre libre arbitre un champ illimité ; il a placé devant nous la vie ou la mort : à nous de choisir. Telle est la part que Dieu nous a faite, et cette part, elle est grande et belle, digne de celui qui nous offre l’épreuve, digne de nous qui la subissons. C’est la gloire de l’humanité, que Dieu ait mis sa destinée au prix d’un combat, et qu’elle ne puisse plus trouver le bonheur que dans ce qui fera son mérite. Assurément il en coûte à notre nature déchue de lutter avec elle-même, ses vices et ses passions ; mais c’est la lutte qui nous fortifie, c’est la lutte qui nous élève : semblables à ces arbres généreux qui ne montent si haut que parce que les secousses de l’orage ont éprouvé leur force. Si rien n’est moins facile, rien n’est plus beau ni plus glorieux que cette lutte où Dieu nous assiste, où les anges nous contemplent, où les saints nous encouragent, où l’Église nous bénit, et où Jésus-Christ, après avoir combattu comme nous, nous donne l’espoir de triompher avec lui : c’est après avoir été éprouvé que l’homme recevra la couronne de la vie. Ainsi soit-il !
Extrait de : La Vie Chrétienne, Sermons Prêchés à la Chapelle des Tuileries, par Mgr Charles-Émile Freppel. 1865.
DÉTACHEMENT DES CRÉATURES
À l’exemple de Marie, détachez votre cœur des choses d’ici-bas et consacrez-le tout entier à Dieu seul.
Pratique : faites toutes vos actions dans les sentiments du Cœur de Marie.
Oraison jaculatoire : Cœur de Marie, image parfaite du Cœur de Jésus, priez pour nous.