L’imposture de la morale laïque

Image pieuse Jésus donnez aux âmes la droiture des arbres

« Seigneur Jésus donnez à nos âmes la Droiture
des grands arbres qu’attire le lumière ! »

« La morale est la science qui doit régler les mœurs : définir la morale, c’est démontrer son indispensable nécessité. Il n’y a pas là-dessus de contestation : tous les hommes reconnaissent la nécessité de la morale. Mais quand il s’agit d’en venir au fait, tous ne tombent pas d’accord sur le point d’où la morale devra tirer sa règle et sa sanction.
Pourtant, si l’on voulait réfléchir, il ne serait pas difficile de reconnaître que la morale, ensemble des lois qui s’imposent à l’humanité tout entière, ne peut être que l’expression de la volonté de Celui qui a créé l’humanité et lui a assigné les lois de sa conduite et les moyens par lesquels elle peut arriver à sa fin. D’où il suit que sans Dieu, il n’y a pas de morale digne de ce nom.
Pourtant, il est des hommes qui s’évertuent à inventer une morale sans Dieu ; ils la puiseront, disent-ils, dans la nature. Voyons-les à l’œuvre.
La nature est bonne, telle qu’elle est sortie des mains de Dieu, et la morale selon la nature n’est autre chose que la morale selon Dieu. Tous les vrais philosophes reconnaissent que la loi naturelle n’est nulle part enseignée plus clairement que dans le décalogue. Ainsi la loi vraie de la nature vraie, n’est autre chose que la voix de Dieu édictant ses dix commandements.
Donc la nature, bien comprise, mène droit à Dieu, son auteur.
Mais il y a des hommes qui ne veulent pas de Dieu, pas de décalogue, et qui pourtant veulent de la morale. Où iront-ils la trouver ? Et en supposant qu’ils la trouvent, comment lui donneront-ils l’autorité et la sanction, deux choses sans lesquelles il ne saurait y avoir de morale ?
La nature qui repousse Dieu n’est autre chose que la nature déchue : et c’est en elle, déchue comme elle est, que certains hommes de notre temps veulent puiser la morale. C’est la morale de l’intérêt, ou du plaisir, ou de la vanité : c’est en un mot ce que la révélation désigne sous le nom de la triple concupiscence ; et qui étant la formule des inclinations de la nature déchue, devient pour certains hommes la règle des devoirs, la loi de la morale : c’est purement et simplement le renversement de toute morale.
Il y a longtemps que nous chrétiens nous connaissons cette morale de la nature. L’apôtre saint Paul l’a stigmatisée en ces mots énergiques : « Conduisez-vous selon l’esprit (morale de la nature vraie), n’accomplissez pas les désirs de la chair (morale de la nature déchue) : car la chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit et l’esprit en a de contraires à ceux de la chair. (Gal., V, 17 .)
Un moraliste chrétien a tracé les caractères de ces deux morales, dont l’une est la lumière, l’autre la nuit : l’une le principe de tout progrès et de toute félicité, l’autre la voie du mal et de la ruine en ce monde et en l’autre. Il dit :

La Voie du Mal : La nature (déchue) n’a jamais d’autre fin qu’elle-même
La Voie du Bien : La grâce (c’est-à-dire la nature vraie, restaurée par la grâce du Sauveur) fait tout pour Dieu, en qui elle se repose comme en sa fin.

La Voie du Mal : La nature ne veut point être ni mortifiée, ni vaincue, ni être soumise, ni se soumettre.
La Voie du Bien : La grâce porte à se mortifier, résiste à la sensualité, n’affecte pas de jouir de sa propre liberté (Libéralisme !!)

La Voie du Mal : La nature travaille pour son intérêt propre, et calcule le gain qu’elle peut tirer des autres. (Exploitation de l’homme par l’homme.)
La Voie du Bien : La grâce ne recherche ni son utilité ni son avantage propre, mais ce qui peut être utile à plusieurs. (Dévouement au prochain.)

La Voie du Mal : La nature aime les honneurs. (Surtout quand ils sont accompagnés du traitement.)
La Voie du Bien : La grâce rend fidèlement l’honneur et la gloire à Dieu.

La Voie du Mal : La nature aime l’oisiveté. (Un des principes les plus féconds de l’immoralité.)
La Voie du Bien : La grâce embrasse volontiers le travail. (Le travail embrassé selon Dieu est essentiellement moralisateur.)

La Voie du Mal : La nature convoite les biens du temps. (Comme si le bonheur était dans leur possession.)
La Voie du Bien : La grâce aspire aux biens éternels, ne s’attache point à ceux du temps, et a son Trésor dans le Ciel où rien ne se perd. (C’est pour cela que nous donnons volontiers aux pauvres.)

La Voie du Mal : La nature est cupide, et reçoit plus volontiers qu’elle ne donne.
La Voie du Bien : La grâce est désintéressée, se contente de peu, et juge plus heureux de donner que de recevoir.

La Voie du Mal : La nature incline vers les créatures, la propre chair, la vanité, la distraction.
La Voie du Bien : La grâce mène à Dieu, à la vertu, hait les désirs de la chair, réprime nos écarts.

La Voie du Mal : La nature fait tout pour le gain et l’intérêt propre. (C’est l’égoïsme partout)
La Voie du Bien : La grâce ne recherche aucun avantage temporel, et ne demande d’autre récompense que Dieu. (Principe de dévouement et de désintéressement.)

La Voie du Mal : La nature sourit aux puissants et flatte les riches. (Prétendant attirer sur elle comme une ombre, un reflet de la puissance et des richesses d’autrui.)
La Voie du Bien : La grâce est plus portée vers le pauvre que vers le riche, et sympathise plus volontiers avec l’innocent qu’avec le puissant. (S’inclinant vers les plus faibles, elle leur apporte un appui, et reçoit d’eux une recommandation devant Dieu.)

La Voie du Mal : La nature ramène tout à elle-même. (Comme pour dominer tout, et alors elle crie à l’égalité.)
La Voie du Bien : La grâce ramène tout à Dieu, principe de toutes choses : (et c’est l’ordre vrai, en dehors duquel il n’y a pas de liberté.)

La Voie du Mal : La nature veut paraître à l’extérieur et veut que ses sens goûtent par leur expérience propre de beaucoup de choses. (En cela semblable à Eve qui voulut voir, et toucher, et goûter)
La Voie du Bien : La grâce n’a cure de ce qui est nouveauté ou curiosité : elle sait que tout cela est l’effet de l’antique corruption (de la nature, dont nous sommes rachetés et délivrés par Notre-Seigneur Jésus-Christ.)

Ainsi parlait au XIIIe siècle l’auteur de l’Imitation [de Jésus-Christ] (Liv.,
III, Ch. LIV ) . La lutte de la chair et de l’esprit lui était bien connue, et, alors comme aujourd’hui, il y avait des hommes qui, pour trouver la loi morale, regardaient en bas, tandis que d’autres, dans le même but, regardaient en haut.
Et les uns et les autres travaillaient à l’édification d’une cité en laquelle ils se promettaient d’être heureux. « Deux amours, dit saint Augustin, firent deux cités, Babylone et Jérusalem : d’un côté l’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu ; de l’autre l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même. »
L’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu, c’est bien là le dernier mot de la morale sensualiste, comme l’amour de Dieu jusqu’au sacrifice de soi-même est le caractère de la morale spiritualiste, de la morale vraie.

Les deux cités, les deux morales sont en présence, et, pour répéter le mot de saint Paul, elles sont en lutte : Sibi invicem adversantur, (Galates 5:17)
Nous les voyons à l’œuvre, là, sous nos yeux, et même plus près de nous encore : au fond de nos consciences, nous entendons les cris de guerre partant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Si nous suivons la morale de la jouissance sensuelle, nous tombons ; si nous suivons la morale du renoncement et du sacrifice, nous nous élevons ; en tombant, nous risquons de demeurer tombés éternellement : en nous élevant, nous nous dégageons du mal et nous allons à Dieu.
Une des deux voies paraît la plus facile, c’est celle qui mène à la situation la plus pénible : l’autre semble présenter toutes sortes de difficultés, c’est celle qui mène à la paix de l’âme, à la sérénité de la conscience, à la délectation du bien, à la jouissance du vrai.
Choisissons, et allons à Dieu.

Extrait de : Les Deux Cités, par le Père Emmanuel, 1911.

Pour le Salut de la Société, Il Faut Revenir à Dieu Sincèrement, Pratiquement, Entièrement

1. Sincèrement.

Le nom « français » signifie la franchise. On a dit souvent de la France qu’elle a les défauts de la jeunesse ; je ne m’associe pas à ce reproche ; mais assurément elle en a les qualités, et en particulier la droiture. Tant que nous avons été religieux, nous l’avons été de tout notre cœur ; nous allions à Dieu de tout notre esprit, de toute notre âme, de toutes nos forces. Toutes nos institutions, nos lois, nos doctrines, nos habitudes nous y conduisaient. Le jour où, nous étant laissé enivrer du breuvage enchanteur que nous versait la main des sophistes, nous avons levé l’étendard contre Dieu, nous l’avons fait à découvert, à la face du monde entier, et avec cette confiance incroyable que l’on retrouve dans les saillies inconsidérées comme dans les nobles actions de la jeunesse. Sortirons-nous de cette voie de franchise, et entrerons-nous dans une voie de fourberie et de duplicité ? On a beaucoup parlé de temps, anciens déjà, dans lesquels on aurait hypocritement fait servir la religion aux intérêts de la société. Il faut s’entendre. Témoigner beaucoup de religion, quand réellement on en a beaucoup ; vouloir communiquer à d’autres une conviction sincère qui repose au fond du cœur ; se faire apôtre de sa foi, propagateur de sa croyance : est-ce là de l’hypocrisie ? Je le demande aux vocabulaires ; ils me répondent : Non. Qu’il y ait parfois excès, indiscrétion, maladresse, à la bonne heure ; mais professer hautement une doctrine à laquelle on a le bonheur de croire, mais chercher même à recueillir les bienfaits légitimes de cette doctrine, ne sera jamais une hypocrisie, une déloyauté. Au contraire, enseigner seulement un peu de religion quand on n’en a pas du tout ; vouloir s’assurer les bénéfices qui résultent de la doctrine chrétienne, quand on repousse pour soi cette doctrine ; inspirer à d’autres par intérêt et par calcul des sentiments qu’on ne partage pas : ne serait-ce pas là de l’hypocrisie, de la duplicité ? Et s’il en est ainsi, la société moderne, quand elle pose la main sur sa conscience, peut-elle s’absoudre entièrement ? Je sais et l’Écriture m’apprend qu’il se trouve là un juste jugement de Dieu, et que sa providence punit les peuples qui rejettent l’empire de la religion, en les soumettant au règne de la fausseté et de l’hypocrisie. Mais il n’en est pas moins vrai que l’hypocrisie est le pire de tous les vices, le plus étranger à notre caractère national, et qu’il est impossible, dans aucune conjoncture, de l’admettre comme une nécessite même passagère. Si donc, pour affermir le monde ébranlé jusque dans ses fondements, il faut rendre au peuple une foi, une doctrine ; si, d’autre part, et nous l’avons démontré, le peuple ne peut recouvrer, conserver sa foi, sa doctrine, que par le concours de ses chefs, il faut en conclure que cette foi, cette doctrine doivent être le partage de tous. Il faut, par conséquent, qui que vous soyez, il faut dès aujourd’hui, si vous ne croyez pas encore, examiner, étudier, prier afin de croire ; croire, afin d’avoir le droit d’enseigner ensuite ; se faire adepte, pour devenir apôtre, apôtre sincère : en dehors de là, ce serait l’imposture ; et qui de vous n’est pas révolté à la seule pensée d’être imposteur ?

2. Pratiquement.

Mais ce n’est pas assez de croire : il faut agir. Aussi avons-nous dit que c’est votre devoir de vous rapprocher de Dieu PRATIQUEMENT. L’évangéliste nous apprend que le Sauveur des hommes commença par agir, et qu’il enseigna ensuite. Imposer à d’autres un fardeau que l’on ne voudrait pas toucher du doigt, c’est ce que Jésus-Christ appelait le pharisaïsme par excellence. Sans doute il ajoutait : « Les Scribes et les Pharisiens se sont assis dans la chaire de Moïse : faites donc ce qu’ils disent, et n’imitez pas ce qu’ils font». Mais ce sage conseil ne devait pas être entendu de la foule ; et un peuple qui trouve autour de lui, au-dessus de lui, des exemples contradictoires aux obligations qu’on lui prêche, ne se laissera jamais convaincre efficacement. O vous donc qui travaillez avec tant d’ardeur à rendre aux intérêts la sécurité par le rétablissement des principes, vous qui parlez, qui dissertez, qui écrivez, entendez ce que raconte un ancien philosophe : «J’avais essayé de toutes les doctrines, dit saint Justin, quand un jour, promenant mes rêveries au bord de la mer, je vis, en me retournant, un vieillard tout près de moi. Son extérieur assez remarquable montrait beaucoup de douceur et de gravité. Nous entrâmes en conversation, et il me dit : Je vois que vous aimez les discours et non pas les œuvres, que vous cherchez la science et non pas la pratique… Nous, nous parlons peu, mais nous agissons.» Frappé de ce langage, Justin devint chrétien. O vous qui êtes animés du noble désir de voir refleurir les principes de la religion et de la morale dans les cœurs desséchés par le doute et la corruption, permettez-nous de vous le dire : VOUS AVEZ ASSEZ PARLÉ, ASSEZ ÉCRIT ; IL EST TEMPS DE PRATIQUER ET D’AGIR. A tant d’efforts spéculatifs, joignez désormais la démonstration qui résultera de vos œuvres. Et pour en venir à quelque application tout à fait pratique, nous vous dirons : Vous voulez moraliser les classes inférieures, et vous vous épuisez à en chercher les moyens; mais existera-t-il jamais rien de plus moralisateur que l’institution du Dimanche, tel que l’Église catholique le prescrit ? Trouvez le secret de conduire tous les habitants d’une contrée, d’une ville, d’une province chaque Dimanche à la messe ; de les entraîner au pied de la chaire chrétienne, d’où on leur expliquera la doctrine et la morale de Jésus-Christ ; que cela dure six mois, et, sans aucun doute, voilà une ville, une contrée régénérée tout entière. Or, cette merveille, il ne tient qu’à vous, hommes du monde qui êtes à la tête de l’industrie, du commerce, de la propriété, des affaires, des charges publiques, il ne tient qu’à vous de l’opérer ; vous ferez ce miracle quand vous voudrez. Je sais que votre exemple pour le mal a été plus contagieux qu’il ne sera puissant pour le bien. Cependant, que tous les hommes qui ont intérêt à la conservation de l’ordre observent religieusement et fassent observer de tous ceux qui leur obéissent le jour consacré à Dieu ; qu’ils assistent avec foi et piété au sacrifice des autels ; qu’ils entendent avec docilité et respect la parole évangélique : le jour ne tardera pas à paraître où les multitudes marcheront sur leurs traces, et bientôt des flots de chrétiens revenus à Dieu inonderont l’enceinte trop étroite de nos temples. […] — Sachez-le donc bien, hommes d’ordre et de conservation : si le désordre finit par triompher en France, s’il vient un jour de complète ruine pour tous les intérêts à la fois, vous serez responsables, au tribunal de l’histoire, d’avoir opté pour tous ces malheurs plutôt que de revenir à la pratique d’une religion qu’avaient pratiquée vos pères depuis plus de quatorze siècles. LE SALUT ÉTAIT POSSIBLE, VOUS N’AUREZ PAS VOULU L’ACHETER A CE PRIX : « Que ces paroles soient écrites pour la génération à venir».

3. Entièrement.

Enfin, ce n’est pas à moitié, c’est ENTIÈREMENT et sans réserve qu’il faut revenir à Dieu. Il est des choses qui ne sont pas susceptibles d’être divisées, partagées. Telle est la religion. Comme Dieu, dont elle est l’expression sur la terre, elle ne peut être scindée, diminuée ; c’est la tunique sans couture, elle est tout d’une pièce. Vouloir un peu de religion, c’est vouloir l’impossible ; en cette matière, c’est tout ou rien. L’Évangile ne renferme pas un seul chapitre, un seul verset qui soit une superfétation, et qu’on puisse retrancher à son gré. Vous appelez la religion à votre aide, vous avez besoin d’elle ; prenez-la telle qu’elle est sortie des mains de Dieu. N’allez pas croire que Dieu vous permette de retoucher son ouvrage, de l’amoindrir, de l’augmenter, de le modifier selon vos idées. Or, c’est là un des travers de notre siècle ; on veut la religion, mais on se réserve de faire un choix entre les divers dogmes, entre les diverses pratiques ; on se constitue juge de ce qui est utile et de ce qui ne l’est pas dans l’œuvre de Jésus-Christ. Qu’arrive-t-il de là ? C’est que, comme on ne reçoit la loi de Dieu qu’avec des restrictions et des réserves, on ne recueille pas tous les fruits qu’on en pourrait attendre. […] — Le prophète Ézéchiel nous apprend qu’outre les diverses ouvertures pratiquées autour du second temple, la lumière y pénétrait par un certain nombre de fenêtres obliques. Disons-le : la société moderne a muré, condamné presque toutes les ouvertures du temple ; elle n’a conservé que les fenêtres obliques ; d’où il résulte que la lumière du ciel ne tombe pas sur nous d’aplomb, mais quelle nous arrive brisée, amoindrie ; il faut que la grâce divine biaise, qu’elle dévie pour s’insinuer dans nos institutions par je ne sais quel jour de souffrance laissé à regret. Ah ! Resterons-nous toujours dans cette situation équivoque ? « Jusques à quand, s’écriait Élie, ressemblerez-vous à l’homme qui boîte des deux côtés ? Si le Seigneur est Dieu, ne suivez que lui ; si Baal est Dieu, ne suivez que Baal.» Oui, si vous avez foi à la philosophie moderne, au rationalisme humain, si vous croyez à ses lumières, à son ministère spirituel, il est temps d’en venir aux effets : replacez sur son trône la déesse Raison, vouez-lui un culte exclusif, appuyez vos institutions contre son autel ; ne partagez plus vos adorations et vos espérances entre antéchrist et Jésus-Christ. Mais si, au contraire, Jésus-Christ est Dieu à vos yeux, si vous jugez que le secours de la vérité chrétienne est indispensable aux hommes et aux choses, ne disputez pas avec le Très-Haut, et soumettez-vous à sa loi telle qu’il vous la présente. Ne boitons plus des deux côtés : rien à Baal, tout à Jésus-Christ.

Extrait de : Lettre pastorale sur «le retour à Dieu considéré comme devoir particulier de tous les hommes qui ont intérêt à la conservation de l’ordre », par le Cardinal Louis-Édouard Pie, Carême 1850.

Du Règne des Vrais Principes…

Principes de la guide scoute

« Les 3 Principes de la Guide Scoute », parfaite illustration de ces vrais principes qui nous manquent tant.

Depuis longtemps, égarés par la fausse sagesse, nous avons vécu étrangers aux Principes, à l’ordre et au bonheur. De vains systèmes ont obscurci, parmi nous, les vraies lumières ; des droits prétendus nous ont fait oublier des devoirs réels. La licence, sous le nom de liberté, a proscrit toute idée religieuse et morale, et, d’excès en excès, nous a précipités des horreurs de l’anarchie dans l’asservissement au despotisme. Nous avons rêvé des chimères, semé du vent, et recueilli des tempêtes.
Nos Pères, mieux éclairés et moins présomptueux que nous, surent respecter les vérités et l’expérience des siècles : leur droiture, leur loyauté, leurs vertus eurent la Religion pour base, le bien pour objet, l’union, la concorde, la prospérité pour récompense.
Ils nous l’avaient transmis ce bel héritage, et nous l’avons dédaigné. La bonté qui les caractérisait, n’a été pour nous que faiblesse d’esprit, la bonne foi que simplicité, la pudeur que ridicule, la piété que superstition, le zèle que fanatisme. De là, l’indifférence pour les plus saines doctrines, les doutes sur les vérités les mieux établies, l’abandon des devoirs les plus saints, le mépris des liens les plus indissolubles, l’infraction des serments et des conventions les plus sacrées, le froid égoïsme, l’insensibilité pour le malheur et l’infortune, l’insurrection contre l’Autorité légitime, l’audace enfin à juger de tout, à braver tout, à oser tout. De là, les désordres et les attentats, sans exemple, qui ont signalé le prétendu siècle des lumières, siècle monstrueux dont les affreuses ténèbres ont enfanté le Chaos.
Une dégradation si étrange, résultat prévu des modernes doctrines, serait-elle sans remède ?… Ah ! loin de nous cette pensée désolante, quand le Ciel, dans sa clémence, vient nous sauver encore ; quand ses prodiges multipliés rappellent, au milieu de nous, les augustes descendants de saint Louis ; quand, avec eux, vont refleurir la Religion et les Principes qui rendent les hommes bons et heureux.
Hâtons, par nos efforts, une régénération si nécessaire. Invoquons, pour nous seconder, les conseils des Sages auxquels la France dut ses beaux jours. Parmi ces Hommes immortels, Fénélon tient un des premiers rangs : son âme douce, vertueuse et sublime fit les délices de son siècle, et conserve, jusque dans le nôtre, le charme et l’ascendant qui touche, attire et persuade. A ses lumières joignons celles des Bossuet, des Bourdaloue, des Massillon, et de plusieurs autres Écrivains célèbres dont le nom seul imprime le respect, inspire la confiance, et dont le cœur, autant que le génie, assure à la Vérité et à la Vertu des triomphes. Recueillons de leurs Ouvrages ces Principes immuables qui toujours seront les garants du repos des familles et de la félicité des peuples : ou plutôt, laissons ces illustres Morts, les présenter eux-mêmes à nos considérations. Laissons les dignes héritiers de leurs talents et de leurs lumières, nous donner, avec l’aperçu de nos erreurs et de nos maux, les moyens de les réparer, et de nous assurer un meilleur avenir.

Extrait de : Du Règne des Vrais Principes Moyens de le Préparer et d’Écarter les Obstacles Qui S’y Opposent, par Cardon de Montreuil. 1822.

« Il faut être de son Pays », par le Cardinal Pie

Il faut être de son pays : Oui, et mille fois oui, surtout quand ce pays, c’est la France. Or, vous serez davantage de votre pays à mesure que vous serez plus chrétiens. Est-ce que la France n’est pas liée au christianisme par toutes ses fibres ? N’avez-vous pas lu, en tête de la première charte française, ces mots tant de fois répétés par l’héroïne d’Orléans : « Vive le Christ qui est roi des Francs » ? N’avez-vous pas lu le testament de saint Remi, le père de notre monarchie et , de toutes ses races régnantes ? N’avez-vous pas lu les testaments de Charlemagne et de saint Louis, et ne vous souvenez-vous pas comment ils s’expriment concernant la sainte Église romaine et le vicaire de Jésus-Christ ? Le programme national de la France est là ; on est Français quand, à travers les vicissitudes des Ages, on demeure fidèle à cet esprit. Les pharisiens, tristes citoyens, n’osèrent-ils pas un jour dénier à Jésus-Christ le sentiment patriotique? « Mais c’étaient eux, reprend saint Ambroise, qui abdiquaient l’amour de la patrie, en se faisant les envieux de Jésus ». Je renvoie hardiment celte même réplique à tous les détracteurs de notre civisme. Les apostats de la France, ce sont les ennemis de Jésus-Christ. Quoi qu’on fasse, il n’y aura jamais de national en France que ce qui est chrétien.

Il faut être de son pays : Oui, encore une fois; mais le pays de France est le pays de la vérité, le pays de la sincérité. Or, si l’Église, qui est profondément libérale, pose des réserves à certains principes modernes, c’est que ces principes, qui ne sont pas conformes à l’ordre, divin, sont en même temps des leurres jetés aux multitudes, des mots sonores dont on est condamné à supprimer la réalité par des expédients de toute sorte, par mille mesures de compression et de répression.[…] Ce n’est pas la Bretagne qui me donnera le démenti, si j’affirme que rien ne sera jamais décidément national en France que ce qui est franc.

Il faut être de son pays et de son temps : et qu’ai-je dit autre chose depuis le commencement de ce discours ? Et ne sont-ce pas nos contradicteurs qui nous contestent à tout instant le droit de cité, qui nous interdisent le feu et l’eau, et veulent nous frapper d’ostracisme ? À les entendre, le ciel est à nous, et la terre est à eux ; le temps leur appartient, et nous ne devons songer qu’à l’éternité. Le chrétien, le prêtre, l’évêque qui sortent du temple, qui posent le pied dans les affaires de leur pays et de leur époque, violent l’entrée d’un terrain interdit. Voilà ce qu’on nous répète à satiété. El nous, nous répondons que, l’Église ayant été placée par Dieu sur la terre, et non dans une autre planète, nous ne saurions donner notre entière démission des choses de la terre ; nous répondons que, les destinées temporelles de la religion étant liées à celles de ce monde, rien ne nous fera jamais accepter l’arrêt de bannissement et la sentence d’émigration qu’on nous notifie ; nous répondons enfin que, tant qu’on ne nous aura pas évincés de notre Pater, nous garderons le droit et le devoir d’apprécier les choses de notre pays et de notre temps dans leurs rapports de convenance ou d’opposition avec la glorification du nom de Dieu sur la terre, avec l’avancement de son règne, avec le triomphe de sa loi. Et nous ajoutons qu’en se plaçant à ce point de vue, le chrétien portera toujours un jugement plus ferme et plus assuré que l’homme du siècle. Car, enfin. Dieu rapporte tout à son Église, et il dirige tous les événements en vue de ses élus. Loin donc d’être atteint d’incapacité, l’homme perfectionné par la grâce et instruit par la longue expérience de l’Église possède un tact plus exercé, un sens plus sur pour le discernement du bien et du mal. Nul ne juge mieux les choses selon leur vraie valeur que celui qui les pèse dans la balance de la foi et au poids du sanctuaire. Faute de ce régulateur, nous voyons tous les jours que les hommes les plus habiles et les plus renommés ne sont, hélas ! ni à la hauteur des destinées de leur pays, ni au niveau des besoins et des difficultés de leur temps.

Enfin, ajoute-t-on, il est des faits accomplis dont il faut savoir prendre son parti ; l’esprit moderne ne permet plus d’espérer jamais le triomphe social des principes chrétiens : il ne faut pas se heurter a des impossibilités. — Des impossibilités ? Mais c’est dit bien vite. L’Église, qui a pour elle cette grande ressource qui se nomme le temps, n’accepte pas ce mot tout d’un coup. Le divin Sauveur, Jésus-Christ a prononcé cet oracle : « Ce qui est impossible auprès des hommes n’est pas impossible auprès de Dieu » ; et l’épouse de Jésus-Christ durant sa carrière de dix-huit siècles, a expérimenté souvent l’accomplissement de cette parole. L’énumération serait longue de ces revirements subits de l’opinion, de ces retours inattendus des choses, de ces interventions manifestes de la providence, qui ont fait revivre tout à coup, au sein de la société chrétienne, les institutions et les principes dont le rétablissement avait été déclaré impossible. En particulier, quand l’Église s’interroge elle-même aujourd’hui et qu’elle se compare avec les choses de ce temps, elle croit sentir en elle-même une vitalité, une fécondité, une force d’expansion et une richesse d’avenir qu’elle n’aperçoit nulle part ailleurs.

Des impossibilités ? Ah! ce qui pourrait les créer ici-bas au profit du mal, c’est cette facilité des bons à y croire et à se les exagérer, c’est cette disposition à douter d’eux-mêmes et de la valeur de leurs principes, c’est cette promptitude à rendre les armes à l’ennemi de Dieu et de l’Église ; que dis-je ? c’est cet empressement à proclamer son triomphe lorsqu’il est loin encore d’être définitif. Je veux le dire bien haut, M. F. : aujourd’hui plus que jamais, la principale force des méchants, c’est la faiblesse des bons, et le nerf du règne de Satan parmi nous, c’est l’énervation du christianisme dans les chrétiens. Que ne m’est-il donné d’introduire au milieu de cette assistance la personne adorable du Sauveur Jésus, et de lui demander comme au prophète : Quelles sont ces blessures dont vous êtes couvert, ces coups dont vous êtes meurtri ? Sa réponse ne serait pas douteuse. Ah ! dirait-il, ce n est pas précisément par la main de mes ennemis, c’est dans la maison de mes amis que j’ai été ainsi maltraité ; de mes amis qui n’ont rien su oser pour ma défense, et qui se sont faits à tout propos les complices de mes adversaires.

Il ne faut pas se heurter à des impossibilités, dites-vous? Et moi je vous réponds que la lutte du chrétien avec l’impossible est une lutte commandée, une lutte nécessaire. Car que dites-vous donc chaque jour : « Notre Père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » : Sur la terre comme au ciel ? mais c’est l’impossible ! Oui, c’est l’impossible ; et cet impossible, il faut travailler ici-bas, chacun selon nos forces, à en obtenir toute la réalisation qui est en notre pouvoir. Une seule génération ne fait pas tout, et l’éternité sera le complément du temps. Nos pères, les anciens Gaulois, avaient une telle foi dans la vie à venir, qu’il leur arrivait de renvoyer la conclusion de leurs affaires à l’autre monde, et de prêter de l’argent recouvrable après la mort. Ce qu’ils faisaient en païens, sachons le faire en chrétiens. Encore un coup, ce que nous commencerons, d’autres le continueront, et le dénouement final l’achèvera. C’est ainsi qu’Émilien et ses Nantais se sont heurtés à l’impossible, qu’ils ont péri dans une lutte avec l’impossible ; mais après eux, d’autres champions ont pris la même cause en main ; et voici que l’ennemi toujours renaissant, contre lequel la chrétienté a bataillé durant près de douze siècles, touche enfin a son agonie. Le mal s’est produit depuis lors, il se produira jusqu’à la fin sous mille formes diverses. Le vaincre entièrement ici-bas, le détruire de fond en comble, et planter sur ses ruines l’étendard désormais inviolable du nom, du règne et de la loi de Dieu, c’est un triomphe définitif qui ne sera donné à aucun de nous, mais que chacun de nous n’en doit pas moins ambitionner avec espérance contre l’espérance même.

Extrait de : Panégyrique de S. Émilien, Nantes, le 8 novembre 1859, par le Cardinal Louis-Édouard Pie. Œuvres Complètes T III, p. 519-526.

image catholiques et francais toujours

Point de Vérités Diminuées

« Oui Je Suis Chrétien et J’en Fais Gloire. » St Romain.

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Quand je demande aux sages de ce temps quelle est la plus grande plaie de la société actuelle, j’entends répondre de toutes parts que c’est le dépérissement des caractères, l’amollissement des âmes. Il va sur ce thème des phrases toutes faites, et qui sont à l’usage de tous. Mais cette réponse provoque elle-même une question ultérieure. Car enfin la race française est énergique de son propre fonds, elle est courageuse de sa nature, et elle n’a pas tellement perdu son tempérament natif qu’elle puisse être accusée trop légèrement de mollesse et de lâcheté. Pas plus aujourd’hui qu’autrefois, la bravoure ne lui fait défaut sur les champs de bataille.

D’où vient donc ce symptôme si grave de l’affaiblissement des caractères ? Ah ! ne serait-il pas vrai qu’il est la conséquence naturelle et inévitable de l’affaiblissement des doctrines, de l’affaiblissement des croyances, et, pour dire le mot propre, de l’affaiblissement de la foi ?

Le courage, après tout, n’a sa raison d’être qu’autant qu’il est au service d’une conviction. La volonté est une puissance aveugle lorsqu’elle n’est pas éclairée par l’intelligence. On ne marche pas d’un pied ferme, quand on marche dans les ténèbres, ou seulement dans le demi-jour. Or, si la génération actuelle a toute l’incertitude et l’indécision de l’homme qui s’avance à tâtons, ne serait-ce pas, ô Seigneur, que votre parole n’est plus le flambeau qui guide nos pas, ni la lumière qui éclaire nos sentiers ?

Nos pères, en toute chose, cherchaient leur direction dans l’enseignement de l’Évangile et de l’Église : nos pères marchaient dans le plein jour. Ils savaient ce qu’ils voulaient, ce qu’ils repoussaient, ce qu’ils aimaient, ce qu’ils haïssaient, et, à cause de cela, ils étaient énergiques dans l’action. Nous, nous marchons dans la nuit; nous n’avons plus rien de défini, rien d’arrêté dans l’esprit, et nous ne nous rendons plus compte du but où nous tendons. Par suite, nous sommes faibles, hésitants. Comment se pourrait-il que la chaleur de la résolution fût dans la volonté, et la vigueur de l’exécution dans le bras, quand il n’y a dans l’entendement, au lieu de la claire lumière du oui, que le nuage ou le brouillard du peut-être ? Croyez-moi, le sang français n’est pas glacé dans nos veines. Pour vouloir, il ne nous manque que de voir. Nous retrouverions tout le courage du cœur, le jour où notre intelligence ne serait plus atteinte d’une irrémédiable lâcheté.

Irrémédiable, non, je rétracte ce mot. Le remède, au contraire, est auprès de nous, il est en nous ; il ne s’agit que de savoir l’employer. — Notre siècle est industrieux en mille manières, il est fécond en inventions de tout genre. Il a découvert d’ingénieux procédés pour communiquer à un bois d’une essence tendre et pénétrable les propriétés des essences les plus dures et les plus compactes, et il est parvenu à donner à une pierre friable et poreuse la fermeté du silex. Ah ! que ne peut-il nous fournir le secret d’injecter l’énergie morale dans les âmes, et de silicatiser, comme il dit, ces caractères qui se pulvérisent au premier souffle du vent et au premier contact de l’air !

Mais ce qu’on demanderait vainement aux procédés humains, la religion nous le procure.

Dans notre esprit faible et inconsistant, elle fait descendre l’Esprit même de Dieu Cette compénétration de l’âme humaine par la vertu d’en haut lui donne comme une autre nature et une essence nouvelle. Pour conférer et maintenir aux chrétiens la dureté du chêne ou celle du granit, il ne faut dans leur être moral que l’infiltration complète et permanente de l’eau baptismale dans laquelle ils ont été régénérés. Oui, l’âme qui se complaît et se délecte dans cet élément surnaturel ; l’âme qui se baigne et se replonge, pour ainsi dire, à tout instant dans la fontaine de son baptême ; l’âme qui tient tous ses conduits ouverts à l’irrigation de cette onde imprégnée de sels divins, cette âme est d’acier, et elle est douée d’une trempe à toute épreuve.

Aussi, M. F., que d’autres se répandent en vaines doléances et en lamentations stériles : moi je prendrai les accents du prophète pour dire : La terre est désolée d’une grande désolation parce qu’il n’y a bientôt plus de baptisé qui se souvienne, comme il le doit, de son baptême, qui ait la conscience des grandeurs et des énergies de son baptême. « Je n’avais jamais rencontré un si fier chrétien », s’écriait le Soudan après avoir entendu saint Louis. Grand Dieu ! cette race des fiers chrétiens, ne sommes-nous pas à la veille de ne plus la rencontrer nulle part sur la terre ? Or, M. F. [Mes Frères], il ne faut à aucun prix que cette race s’éteigne parmi nous : l’humanité aurait trop à y perdre. Si elle disparaissait partout ailleurs, c’est la France, et je dirai, ce sont nos religieuses provinces de l’ouest qui devraient être son dernier asile. Rendez donc, M. F., rendez à votre âme toute la vie, toute l’expansion, tout l’épanouissement de son baptême.

Redevenez ce que furent vos pères, de vrais chrétiens, de fiers chrétiens ; et alors, avec les ressources inépuisables de votre tempérament national, vous n’aurez pas même un effort à faire pour être, comme eux, des héros et au besoin des martyrs. Mais, pour cela, puisez aux sources pures, aux sources jaillissantes de la foi chrétienne. Ne vous arrêtez pas à ces doctrines de milieu que je ne sais quel tiers parti, né d’un caprice d’hier, invente chaque jour en matière religieuse. Est-ce que ce christianisme appauvri, débilité, le seul qui trouve grâce devant certains sages du Portique moderne, refera jamais les caractères vigoureux, les tempéraments fortement organisés des anciens âges ? Non, avec les doctrines amoindries, avec les vérités diminuées, on n’obtiendra que des demi-chrétiens ; et, avec les demi-chrétiens, ni la société religieuse, ni la société civile n’auront jamais raison de l’ennemi redoutable que je vous ai signalé. »

Extrait de : Panégyrique de S. Émilien, Nantes, le 8 novembre 1859, par le Cardinal Louis-Édouard Pie. Œuvres Complètes T III, p. 519-526.