Reliquaire contenant le cœur de Mgr Freppel, église d’Obernai (Alsace).
II
On se fait souvent dans le monde une idée bien fausse de la vie Chrétienne. Beaucoup s’imaginent que la sainteté exige des choses extraordinaires, des actions d’éclat, des miracles ou des prophéties. La sainteté n’est rien de tout cela. Quand le riche de l’Évangile demande à Jésus-Christ quel bien il faut faire pour arriver à la vie éternelle, le Sauveur lui répond : Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements. La vie Chrétienne consiste dans « l’accomplissement fidèle des devoirs que la Providence nous impose suivant la condition particulière où elle nous a placés » comme dit saint Paul (I Cor. VII, 20). On est saint, « alors que l’on conserve avec la grâce divine un cœur pur et disposé à toute bonne œuvre » (II Tim. II, 21). Tendre à la sainteté, « c’est bien faire tout ce que l’on doit faire » (Deut. XVI, 20) ; c’est porter dans les choses communes et ordinaires de la vie une intention droite et pure ; c’est agir en vue de Dieu, pour remplir sa sainte volonté ; c’est rapporter à sa gloire toute l’activité de notre être ; c’est s’appliquer à la vertu en combattant sans relâche les penchants déréglés de la nature ; c’est retremper notre âme aux sources vives de la grâce pour lui communiquer une énergie surnaturelle et divine. Voilà, mes frères, la vie Chrétienne, et quand l’Écriture Sainte veut résumer la perfection idéale de l’Homme-Dieu, elle se contente de ces mots que répétait une multitude ravie d’admiration : il a bien fait toutes choses (St Marc VII, 27).
Dieu vous a confié la mission de servir de votre épée le prince et la patrie, vous êtes entrés dans cette carrière de l’honneur et de la fidélité : c’est là, comme disait Bossuet, dans ce langage qui n’est qu’à lui, la grande maxime de la politique du ciel ; faites ce que vous faites, mais faites-le pour Dieu, et non pas uniquement en vue d’un intérêt périssable. Ne cherchez pas en dehors de votre noble profession les moyens de sanctifier votre âme. Dieu vous les offre dans vos devoirs d’état acceptés de sa main avec docilité et remplis dans un esprit de foi. Si la pratique des vertus Chrétiennes vient féconder pour le Ciel cette vie d’abnégation et de sacrifice, le Seigneur pourra dire de vous comme du centurion romain : En vérité, je n’ai pas trouvé une si grande foi dans Israël (St Matthieu VIII, 10).
Dieu vous a-t-il associés au ministère de sa justice, votre vie est-elle vouée à la défense du droit et des intérêts de vos semblables, c’est dans l’exercice de ces augustes fonctions, accomplies sans crainte ni passion, pour la gloire de Dieu et pour le bien de vos frères, c’est la, dis-je, et non ailleurs, qu’est le principe de votre perfection morale et la source de votre bonheur futur. Consacré à Dieu par l’offrande de la prière, uni au sacrifice du Rédempteur par le lien d’une foi vive, ce travail de la vie présente, qui semble s’arrêter aux limites de la société terrestre, acquiert un prix surnaturel et une valeur pour l’éternité.
Et bien vivre là où Dieu m’a voulu !
Image Scoute par Fra Nodet, éditions Lucerna Ardens, N°116).
Dieu vous a-t-il appelés à répandre autour de vous les lumières de la science, à travailler au développement religieux et moral des peuples par la culture de l’esprit, en ouvrant un vaste champ à l’activité de votre intelligence, il prépare pour votre âme un trésor de mérites. Car il n’est pas d’emploi dans le monde qui ne puisse devenir pour nous un moyen d’atteindre à la perfection Chrétienne. Rien n’est petit dans la vie, rien n’est indifférent devant Dieu. Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, écrivait saint Paul, quelque chose enfin que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu (I Cor. X, 31). Et Notre Seigneur Jésus-Christ voulant nous apprendre qu’aucune action, si peu importante qu’elle paraisse, ne passera inaperçue devant Dieu, disait à ses apôtres : En vérité, je vous le dis, un verre d’eau qui vous sera donné en mon nom ne restera pas sans récompense (St Marc IX, 40)
Que sera-ce de ces grands actes qui, venant de plus haut, peuvent assurer le bonheur des peuples et contribuer si puissamment au salut des âmes ? Mais, vous l’entendez, mes frères, ce n’est qu’au nom de Jésus-Christ, par la vertu de sa grâce, en union avec son sacrifice, que nos œuvres deviennent salutaires et méritoires : sans cette consécration divine, elles s’arrêtent à la terre et restent stériles pour le Ciel.
Ainsi, je n’appelle pas vie Chrétienne une vie d’où la pensée de Dieu est absente, quelque belle d’ailleurs, quelque brillante qu elle soit en apparence ; une vie qui s’épuise dans le cercle étroit des choses d’ici-bas sans s’élever au-dessus de la terre ; une vie dont les actes ne sont pas empreints du sceau de la religion ni marqués du caractère dé l’immortalité ; une vie qui ne cherche que dans les intérêts temporels le principe et la fm de son activité ; une vie où les sollicitudes de ce siècle étouffent le sens des choses surnaturelles et divines ; une vie légère et frivole, vide d’occupations sérieuses, dominée par ce que l’Écriture Sainte appelle si bien la fascination de la bagatelle (Livre de la Sagesse, IV, 12) ; une vie tout extérieure qui se dissipe au milieu des affaires et des plaisirs de ce monde, sans jamais se replier sur elle-même dans le commerce intime de l’âme avec Dieu ; une vie enfin qui ne se rattache à l’éternité ni par le chemin qu’elle suit, ni par le but où elle tend. Une telle vie n’est pas une vie Chrétienne, c’est la mort de l’âme (Apocalypse, III, 1).
Extrait de : La Vie Chrétienne, Sermons Prêchés à la Chapelle des Tuileries, par Mgr Charles-Émile Freppel. 1865.