Aux Origines de la Décadence de la France – Plinio Corrêa de Oliveira (TFP)

Pour remédier à un problème, il faut en identifier les origines et les causes.
C’est que fait Plinio Corrêa de Oliveira, fondateur de Tradition Famille Propriété (TFP). Dans ce court extrait de son maître-ouvrage Révolution et Contre-Révolution, il revient aux sources de la décadence de la France et de l’Europe Chrétienne.

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Au XIVe siècle s’ébauche dans l’Europe chrétienne une transformation de mentalité qui se précise au cours du siècle suivant. L’attrait des plaisirs terrestres se métamorphose graduellement en convoitise. Les divertissements deviennent de plus en plus fréquents et somptueux, les hommes les recherchent toujours davantage. Dans l’habillement, les manières d’être, le langage, la littérature et l’art, l’avidité croissante pour une vie pleine des délices de l’imagination et des sens multiplie progressivement les manifestations de sensualité et de mollesse. Le sérieux et l’austérité des anciens temps dépérissent. Tout recherche le riant, le plaisant, le festif. Les cœurs se détachent peu à peu de l’amour du sacrifice, de la véritable dévotion pour la Croix, et des aspirations à la sainteté et la vie éternelle. Autrefois l’une des plus hautes expressions de l’austérité chrétienne, la chevalerie devient amoureuse et sentimentale ; la littérature courtoise envahit tous les pays ; les excès du luxe et sa conséquence, l’avidité des richesses, s’étendent à toutes les classes sociales.

En pénétrant dans les sphères intellectuelles, ce climat moral amena de nets comportements d’orgueil : le goût des disputes pompeuses et vides, des arguties inconsistantes, des étalages vains d’érudition. Il fit aduler de vieilles tendances philosophiques dont la Scolastique avait triomphé et qui, suite au relâchement de l’ancien zèle pour l’intégrité de la foi, renaissaient désormais sous des aspects nouveaux. L’absolutisme des légistes, qui se paraient d’une connaissance vaniteuse du droit romain, trouva chez les princes ambitieux un écho favorable. « Pari passu » [l’équité]s’éteignit, chez les grands comme chez les petits, la fibre d’antan qui savait contenir le pouvoir royal dans ses limites légitimes, reconnues au temps de saint Louis et saint Ferdinand de Castille.

Pseudo-Réforme et Renaissance

Ce nouvel état d’âme contenait un désir puissant, bien que quasi inavoué, d’un ordre de choses fondamentalement différent de celui qui avait atteint son apogée aux XIIe et XIIIe siècles.

L’admiration exagérée, et souvent exaltée, envers l’Antiquité servit de moyen d’expression à ce désir. Cherchant fréquemment à ne pas heurter de front la vieille tradition médiévale, l’Humanisme et la Renaissance s’appliquèrent à reléguer au second plan l’Église, le surnaturel, les valeurs morales de la religion. Le type humain -inspiré des moralistes païens – que ces mouvements introduisirent en Europe comme idéal, ainsi que la culture et la civilisation qui lui correspondent étaient déjà les précurseurs naturels de l’homme contemporain, avide, sensuel, laïc et pragmatique, ainsi que de la culture et de la civilisation matérialistes dans lesquelles nous nous enfonçons tous les jours davantage. Les efforts en faveur d’une renaissance chrétienne ne parvinrent pas à écraser dans l’œuf les facteurs dont résulta le lent triomphe du néo-paganisme.

Dans certaines parties de l’Europe, ce néo-paganisme ne conduisit pas à l’apostasie formelle. Il eut à lutter contre de puissantes résistances. Même lorsqu’il s’installait dans les âmes, il n’osait pas leur demander, au début tout au moins, une rupture formelle avec la foi.

Mais en d’autres pays, il s’attaqua ouvertement à l’Église. L’orgueil et la sensualité, dont la satisfaction fait le plaisir de la vie païenne, suscitèrent le protestantisme.

L’orgueil engendra l’esprit de doute, le libre examen, l’interprétation naturaliste de l’Écriture. Il provoqua l’insurrection contre l’autorité ecclésiastique, réalisée dans toutes les sectes par la négation du caractère monarchique de l’Église universelle, c’est-à-dire par la révolte contre la Papauté. Certaines d’entre elles, plus radicales, nièrent aussi ce que l’on pourrait appeler la haute aristocratie de l’Église : les évêques, ses princes. D’autres encore rejetèrent même le caractère hiérarchique du sacerdoce, le réduisant à une simple délégation du peuple, seul véritable détenteur du pouvoir sacerdotal.

Sur le plan moral, le triomphe de la sensualité dans le protestantisme s’affirma par la suppression du célibat ecclésiastique et par l’introduction du divorce. »

Extrait de : Révolution et Contre-Révolution, par M. Plinio Corrêa de Oliveira (Edition Française, 1997 – TFP).

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Par ailleurs, Travail, Famille Propriété (TFP France) vient de lancer un appel à la Résistance sur leur chaîne youtube. Le voici :

« Nous, Catholiques, avons-nous le droit de résistance, par exemple à la politique d’immigration du Pape François ? »

« Vous vous demandez ce que vous pouvez faire si nos bergers nous livrent aux loups, destructeurs de l’Occident et de la Civilisation chrétienne ? »

Alors, lisez l’Appel Urgent à résister à la trahison et à la ruine de l’Occident. Pour cela, cliquez sur le lien : https://tfp-france.org/appel-a-la-resistance/

Une version téléchargeable au format PDF pour impression et diffusion est disponible en cliquant sur ce lien : https://tfp-france.org/wp-content/uploads/2020/11/Lappel-TFP-France.pdf

DONNEZ LES MOYENS à Travail Famille Propriété de propager cet APPEL PRESSANT auprès de milliers de Français, cliquez ici : https://tfp-france.org/faire-un-don/

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Site de Travail Famille Propriété : https://tfp-france.org/
Facebook : https://www.facebook.com/tfp.france
Appel à la RÉSISTANCE : https://tfp-france.org/appel-a-la-res…
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Athéisme et Péril Social – Mgr Dupanloup (1)

Sous la Croix l'impie expie ses fautes

Sous la Croix se trouble l’impie regrettant les fautes qu’il expie.

Les Impiétés

« On a vu, dans ce que nous avons déjà cité, plus d’un exemple des impiétés que ces écrivains mêlent à leurs arguments.

En voici d’autres encore, prises dans la masse, et où la déraison et le blasphème vont à l’envi :

« ….. Si j’étais un de ces malheureux frappés par les fléaux célestes, dépouillé et vaincu, mais sentant en moi la force de l’innocence, je dirais, nouveau Job, à votre Dieu : Je suis au-dessus de toi, et, si tu existes, tu es toi-même le plus grand fléau, le plus mortel ennemi du genre humain, le dévastateur et le destructeur par excellence ; car tu détruis la justice dans l’homme…

Un autre écrit : « Les doctrines professées par les libre penseurs, c’est peut-être la religion de l’avenir qui commence, prenant la place de la religion du Nazaréen….. de la Religion Catholique en décadence et qui tombe en lambeaux. »

Ces libres penseurs sont d’avis qu’il n’y a pas de Dieu, ou que, s’il y en a un, il ne se mêle pas des affaires de ce monde. Et voilà qu’ils prétendent fonder une religion, et ils donnent à cette religion sans Dieu, l’avenir, et ils la destinent à remplacer le Christianisme !

D’autres, par un blasphème peut-être encore plus impie, rattachent cette religion nouvelle à Jésus-Christ, et n’y voient qu’un développement du Christianisme : « La libre pensée a le fondateur du christianisme pour « modèle sublime) » elle serait le christianisme consommé.[…]

Hardi contre Dieu seul !

Oui, contre Dieu seul! et dès le lendemain, le Siècle nous en donnait une nouvelle preuve, en prenant la peine de nous dire que Dieu n’est qu’une hypothèse… Comme l’âme, d’ailleurs, comme la vie future… Hypothèses admettant parfaitement des hypothèses contraires :

« Dieu, personnel ou impersonnel, le Dieu des chrétiens, le Dieu des panthéistes, l’âme humaine, son existence, son immortalité, les destinées de l’homme après sa mort, sont des hypothèses, douces, consolantes, fortifiantes, si vous voulez, mais enfin ce ne sont que des hypothèses. » Quand on songe à quels lecteurs vont de telles choses, dans tous les cafés et cabarets de villes et de campagnes, quels ravages elles peuvent faire parmi le si grand nombre de ceux qui sont serfs de leur journal, et ne savent pas défendre la liberté de leur esprit contre de tels docteurs, comment n’être pas effrayé pour l’avenir de ce pays ?

M. Havin nous dira tout à l’heure que l’Église ne doit plus avoir la direction morale des intelligences, et que c’est même là un fait accompli….. Mais que signifie ce fait accompli ? Tout simplement que le peuple, s’il devient libre penseur, comme on l’en flatte, changera de maître : de l’enseignement de Dieu et de l’Évangile, il tombera sous l’enseignement du Siècle et de ses confrères. […]

Du reste, il est un point sur lequel tous ces messieurs sont de même avis : ils ne veulent plus entendre parler de la justice de Dieu dans le monde ! Il n’en veulent plus absolument : c’est sans doute encore un fait accompli.

Admettre que Dieu châtie les hommes par des fléaux, par des calamités publiques, « c’est accuser Dieu d’injustice et de « cruauté ; » c’est « faire renaître les terreurs d’un autre temps… tout à fait puériles aujourd’hui. » C’est renouveler des préjugés de bonnes femmes. »

La justice… les hommes sont bien avertis qu’il n’y en aura plus d’autre à craindre désormais que celle des cours d’assises, des gendarmes et du bourreau !

A son tour, le Journal des Débats se moque agréablement de « cette crainte salutaire qui est le commencement de la sagesse. »

Le Dieu que nous adorons, qu’ont adoré nos pères, avant comme depuis Jésus-Christ, ce Dieu personnel, créateur, législateur, gouvernant le monde par sa Providence, récompensant la vertu, châtiant le crime, ces messieurs l’appellent : « Le Dieu de l’arbitraire, Dieu extérieur et matériel, fait à la ressemblance de nos passions et de nos ignorances. » Ce Dieu : « il a eu son temps, il s’en va, il fond à vue « d’œil. » Il est remplacé par « le Dieu intérieur, bien autrement profond, saint et respectable. »

Et ce nouveau Dieu, ce Dieu profond, seul saint et seul respectable, destiné à remplacer l’ancien Dieu qui a eu son temps, quel est-il donc ?

C’est « la loi vivante des mondes et des âmes, reconnue « et respectée : voilà le Dieu qui se dévoile à la science, le « Dieu qui, dans l’homme, s’appelle d’un seul mot, L’HUMANITÉ.

L’humanité n’est pas Dieu, mais elle est la révélation de « Dieu dans l’homme. » […] pour eux, « tout est Dieu, » comme disait Bossuet, « excepté Dieu lui-même. »

Humanisme revue franc-maçonnerie du Grand Orient

Humanisme revue des franc-maçons du Grand Orient de France. Sans commentaire.

Continuons :

Le matérialisme nous envahit, il inonde notre littérature, il déborde de plus en plus dans nos mœurs ; c’est la plaie du présent et le redoutable fléau de l’avenir. Voici avec quelle indulgence on le traite : « Certaines personnes, dans une ardeur d’émancipation fort sincère, cherchent à rendre au MATÉRIALISME la direction du mouvement moral et politique. » […]

Et il nous sera interdit de nous effrayer de ce progrès ! Et nous ne pourrons dénoncer ces doctrines grosses de toutes les révolutions sociales, comme des attentats ! […] ces doctrines auront détruit tout culte, toute autorité, tout ordre public […]

Et toutes les théories les plus abominables, les plus impies, les plus effrontées, les plus subversives de tout ordre et de toute société, jetées parmi la jeunesse et parmi le peuple, ne seront rien que d’innocent, tant qu’on ne prendra pas la hache pour abattre les trônes et les têtes : jusqu’alors, il ne faudra voir là que l’exercice légitime et sacré de la libre pensée, de la libre conscience, préparant la religion et la société de l’avenir !

Eh bien ! de tout cela, je fais mon compliment à l’avenir et à mon pays.

Extrait de : L’Athéisme et le Péril Social, par Mgr Félix Dupanloup. 1866.

Le Sacré-Cœur, Salut du Monde et de la France, par le Chanoine Coubé, 2ème Partie

Sacré-Cœur de Jésus nouveau signe de Salut

Le Sacré-Cœur de Jésus, le nouveau signe de Salut.

« Mon Seigneur et mon Dieu ! » Voilà pourquoi la dévotion au Sacré-Cœur convient mieux que toute autre à l’intelligence contemporaine.

Il est une autre misère de notre époque qui trouve également son spécifique dans le Sacré-Cœur. L’humanité souffre, messieurs, de maux inénarrables, j’ose même dire qu’elle souffre plus qu’elle n’a jamais souffert : non pas que les douleurs physiques, la pauvreté, la maladie et la mort soient en elles-mêmes plus terribles que par le passé, mais l’homme a plus conscience de la souffrance, et, par suite, y est plus sensible. Il rêve de biens auxquels ne pensaient pas ses pères.

Il trouve intolérables des privations que supportaient gaiement ses pères. Le pauvre soupire après la richesse, l’inférieur après l’égalité, tous après la jouissance. Aussi voyons-nous partout des déceptions amères, suivies de révoltes, de fureurs et de désespoirs que ne connaissaient pas nos pères. Et ce n’est pas seulement contre le ciel et leur destinée que les hommes s’irritent. L’égoïsme, fils de l’irréligion, engendre à son tour l’injustice et la haine. On parle, je le sais, plus que jamais de fraternité, mais c’est en aiguisant les couteaux et en chargeant les fusils pour la grande bataille qui doit couronner ces belles déclamations.

Pour adoucir les cœurs aigris, que faut-il ? Un grand amour rayonnant sur nos misères, pansant nos plaies, disant les mots enchanteurs, réconciliant les frères ennemis, et montrant à tous les grandes joies de l’au-delà. L’humanité acceptera tout d’un cœur qui l’aime. Elle n’accepterait rien, pas même son propre salut, d’un cœur froid et indifférent.

Cela est si vrai que ceux qui prétendent sauver la société affectent tous les dehors de la bonté, l’amour de l’humanité douloureuse.

Les religions nouvelles n’ont pour Évangile que des phrases sonores sur la solidarité, l’humanité, la pitié.

La science athée ne parle de ses découvertes que pour en faire ressortir le côté humanitaire : elle qui n’a qu’un cerveau, elle se donne comme la bienfaitrice et la mère des hommes dans l’avenir.

Le socialisme recourt au même mensonge. Lui qui n’a que des entrailles de Moloch, qui s’apprête à broyer l’humanité sous ses mâchoires de fer, il simule la pitié pour les humbles et les miséreux, il tend les bras aux foules et s’écrie dans une parodie sacrilège : « Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes. » Ah ! je pense en l’entendant à cet affreux scélérat de la Révolution, à ce Marat dont des misérables ont prétendu honorer le cœur, – le cœur de Marat, le cœur d’un monstre ! Scélérat dont le nom, sous le vocable de Montmort, a pendant quelque temps déshonoré cette colline, aujourd’hui purifiée par le culte du Cœur de Jésus.

En un mot, tous ces imposteurs, voulant passer pour des messies, ont usurpé le grand signe messianique des temps modernes, celui que la société veut voir au front de ses sauveurs : la bonté. Mais seul le Christ est la bonté infinie ; seul, il a un cœur large comme le monde, assez profond pour recevoir toutes les plaintes et toutes les douleurs des hommes et les convertir au creuset de son amour en joie et en mérites. C’est ainsi que cette dévotion du Sacré-Cœur convient merveilleusement au pauvre cœur blessé de l’humanité moderne.

Dans l’encyclique Annum Sacrum, le Pape nous montre au front de Jésus toutes les auréoles qui appellent l’adoration.

Auréole de la divinité ! Il la porte de toute éternité : Il a marché ici-bas dans sa lumière au milieu des nations que son Père Lui avait données en héritage.

Auréole de sa Passion, dont Il s’est couronné Lui-même en prenant la couronne d’épines, avec laquelle Il est monté sur le trône de la croix, au nom de laquelle Il dit aux peuples : « Vous êtes ma conquête : Populus acquisitionis ».

Enfin auréole de bonté, auréole de flammes et de lumière qui brille autour de son Cœur, et caresse doucement nos yeux fatigués.

Cette triple auréole, messieurs, c’est la vraie lumière qui doit guider les hommes sur les océans de l’avenir ; c’est elle qui leur montre le port du salut. Voilà pourquoi l’humanité, inondée de ses feux, s’est jetée à genoux comme jadis les apôtres dans la barque et s’écrie en tendant les bras au Sauveur : « Seigneur, sauvez-nous, car nous périssons ».

Extrait de : Le Sacré-Cœur, Salut du Monde et de la France, Discours Prononcé le 18 Juin 1899 en la Basilique de Montmartre par le Chanoine Stéphen Coubé (S.J.).

Les Origines du Déclin de l’Europe Chrétienne

Mgr Alfred Baudrillart, photographie de 1918
Mgr Alfred Baudrillart (1859-1942). Photographié en 1918.

« Depuis les origines du Christianisme, il n’y a pas en Europe de révolution dans l’histoire des idées plus grande, plus importante, que celle qui a arraché à l’Église Catholique au XVe et au XVIe siècles un grand nombre d’esprits pour ramener les uns au rationalisme et au naturalisme antiques, pour attirer les autres à une conception de la vie chrétienne tout individualiste et fondée sur le libre examen. Ce double mouvement qui s’est continué à travers les temps modernes porte les noms de Renaissance et de Réforme. Il nous a semblé intéressant dans ces conférences apologétiques d’étudier l’attitude de l’Église en présence de ces deux mouvements, attitude bien différente et qui lui a valu, nous ne l’ignorons pas, deux sortes d’accusations tout opposées : on lui a reproché en effet, de s’être montrée trop bienveillante à l’égard de celui de ces deux mouvements qui était le moins chrétien, bienveillante au point de se laisser atteindre dans une certaine mesure et corrompre elle-même ; trop impitoyable au contraire à l’égard du plus chrétien et trop inintelligente de ce sentiment religieux intime et profond, qui était, dit-on, le véritable Christianisme et qui pouvait seul revivifier la religion chrétienne après la décadence du Moyen Age expirant.

Il y a là un problème historique du plus haut intérêt ; mais problème qui n’est pas exclusivement historique, car nous sommes toujours en présence de l’esprit de la Renaissance et de l’esprit de la Réforme. Ce sont toujours les deux courants qui s’unissent, qui s’allient encore aujourd’hui contre l’Église catholique, courants qui semblent contraires et qui ont cependant une source commune : l’autonomie, ou, si vous le voulez, l’indépendance absolue de la raison individuelle.

Qu’est-ce que la Renaissance et qu’y a-t-il en elle de contraire à l’esprit chrétien, telle est la question que je voudrais aujourd’hui étudier avec vous. Et comme c’est en Italie que ce mouvement a pris naissance, c’est là que je vous conduirai tout d’abord ; n’a-t on pas dit avec raison que « le premier en Europe, l’Italien a été un homme moderne » ?

Qu’éveille en nous le mot de Renaissance ? Avant tout l’idée d’une des époques les plus brillantes de l’histoire intellectuelle et artistique de l’humanité. Abandonnant les sources chrétiennes et chevaleresques du Moyen Age, on s’attacha principalement à l’étude de l’antiquité païenne, œuvres de l’art, œuvres de la pensée. Dans tous les genres on se préoccupa d’imiter les modèles classiques, si bien que la Renaissance nous apparaît d’abord comme la renaissance de l’antiquité. Mais ce n’est pas que cela : c’est aussi, ajoute-t-on, la renaissance de l’esprit humain, car on puisa dans l’étude des anciens les germes des idées qui devaient renouveler la science, l’ordre social et politique, et dans une certaine mesure même les doctrines et les croyances de l’âge précédent, beaucoup allèrent chercher dans l’antiquité les principes directeurs de leur pensée et de leurs actes. Mais surtout on emprunta aux anciens le grand ressort, le grand levier de leur esprit, l’usage exclusif de la raison, l’observation de la seule nature ; et c’est par là que ce retour au passé fut l’aurore d’un Age nouveau, le principe même d’un progrès indéfini ; par delà l’antiquité et grâce à elle, on retrouva la nature et la raison, devenues reines et maîtresses des temps modernes ; et voilà la Renaissance entendue dans son sens le plus large, celui qu’ont mis en lumière avec l’enthousiasme antichrétien que l’on sait, un Michelet ou un Burckhardt.

Mais pourquoi ce retour si exclusif vers l’antiquité et vers ce qu’elle représente ? Pourquoi cet élan si général et ces conséquences extrêmes ? Déjà dans les siècles précédents la Renaissance classique s’était présentée aux hommes, au IXe , au XIIe et au XIVe siècles et jamais elle n’avait produit de tels effets. Pourquoi les produisit-elle au XVe ? Pourquoi a-t-elle eu au XVIe ce résultat de détacher de l’Église un si grand nombre d’esprits ?

Assurément, il est difficile de résoudre un pareil problème, et surtout en peu de mots, car pour y répondre il faut descendre jusque dans les entrailles mêmes de la société et des esprits, et quels sont les documents capables de nous révéler le fond même d’une société, le fond même des esprits à une époque donnée ? Cependant si on étudie de près cette époque, on constate que l’état politique et social de l’Italie au XIVe et au XVe siècles a produit, au moins chez les Italiens des hautes classes, un état psychologique et moral singulièrement propre à leur faire comprendre et recevoir les leçons de l’antiquité.

Or, au moment où ces Italiens se trouvaient aptes à recevoir, à comprendre les leçons de l’antiquité, elle s’offrait à eux sous toutes les formes : arts, littérature, philosophie, si bien qu’il y eut une rencontre féconde entre le génie antique et le génie italien. De là naquit l’homme de la Renaissance, qui peu à peu cessa d’être chrétien par la double ruine de la doctrine et des mœurs […].

Il y a une opposition fondamentale entre l’esprit antique et l’esprit chrétien.

La conception chrétienne de la vie repose sur la notion de la nature déchue, corrompue, réduite à la faiblesse ; sur la notion du péché, sur la nécessité du secours divin pour relever la nature, pour éviter le péché. Elle repose encore sur l’idée de la rédemption de l’humanité par un Dieu fait homme et souffrant. A l’ordre de la nature le christianisme superpose l’ordre surnaturel et, si le christianisme déifie l’homme, c’est par l’infusion en lui de la vie surnaturelle, par une participation, bienfait gratuit de Dieu, à la vie divine, et ceci est un don, une grâce.

Le paganisme au contraire, la conception antique et païenne de la vie repose sur la déification de la nature elle-même, de la nature physique et de la nature humaine. Eritis sicut dii, vous serez comme des dieux, dit le paganisme, et il le dit dans le sens où le Tentateur l’a dit à nos premiers parents. Parce qu’il n’y a rien au-dessus de la nature, rien au-dessus de la raison, suivre la nature voilà le bien. Heureux si la raison sait encore dans la nature discerner le bien et le mieux, l’inférieur et le supérieur ! Sinon le dernier mot sera la réhabilitation de la chair et de l’orgueil humain.

Or je dis que la Renaissance, et dans la Renaissance l’humanisme qui a été le véhicule de ses idées, sont revenus à la conception la plus inférieure ; et je le prouve.

L’humanisme n’a cure de l’ordre surnaturel qu’il passe sous silence ; il proclame la bonté de la nature, sa force et son efficacité pour parvenir à tout.

Élever au plus haut degré d’intensité l’humanité que l’on porte en soi, tout connaître, tout goûter, jouir de tout, telle est la loi morale de l’humanisme, loi qui concorde merveilleusement avec les aspirations et l’absence de scrupules que l’état politique et social avait fait naître chez l’Italien du XVe siècle. L’homme universel, développant harmonieusement toutes les heureuses dispositions de son corps, toutes les facultés de son esprit ; cultivant toutes les sciences et tous les arts, voilà le suprême idéal .[…] le dernier mot est l’orgueil, et la morale ainsi fondée ne connaît pas de barrière infranchissable. […]

Quand on en arrive à cette conception de la loi morale, il faut que déjà se soit fait un grand travail de démoralisation dans les esprits. Tout homme a tendance à justifier sa vie par des principes qu’il proclame ; il en fut ainsi à l’époque de la Renaissance ; on ne tarda pas à mettre les doctrines en rapport avec l’immoralité pratique et à la proclamer comme un droit. »

Extrait de : L’Eglise Catholique, la Renaissance, le Protestantisme, par le Mgr Alfred Baudrillart, 1905.